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À l’ombre des palmiers

À l’ombre des palmiers

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Pointe-à-Pitre, jour de semaine, fin de matinée. Une fois l’averse tombée, les nuages plombés de gris se sont posés sur l’horizon, laissant le soleil saturer l’air d’humidité. À l’ombre des manguiers et des palmiers ébouriffés, la place de la Victoire monte en pente douce de la darse où chaque jour quelques barques viennent accoster pour vendre la pêche du matin, ou de la veille.

L’esplanade déserte dessine un grand quadrilatère bordé de jolies maisons coloniales. Ici une Caisse d’épargne affiche un logo rouge flamboyant ; là, le drapeau français flotte nonchalamment au-dessus de la sous-préfecture, impeccable dans ses murs jaunes fraichement repeints. La terrasse d’un café fait face à la façade classique du cinéma La Renaissance qui a dû connaître des jours meilleurs. Au premier abord, cette petite ville française d’outre-mer offre un visage presque pimpant. Mais on cherche en vain la foule qui anime ordinairement toute ville pour peu qu’elle ait un passé, quelques beaux restes, des paysages de carte postale et un climat amène.

Sous la halle du petit marché qui jouxte la place, quelques femmes en robes de madras proposent leurs légumes à de rares chalands. À la terrasse ombragée du café, trois hommes solitaires lisent la presse métropolitaine de la veille. Le gardien du musée Saint John Perse s’ennuie en attendant les touristes qui ont, en partie, déserté l’île depuis les grèves de 2009. Si la Guadeloupe fait de louables efforts pour reconquérir le cœur des voyageurs, Pointe-à-Pitre reste curieusement dénuée de capacités d’accueil hôtelières.

À l’arrière de la grand-place s’étend un réseau, tracé au cordeau, selon un plan en damiers, de rues étroites. La chaussée des Abymes, aujourd’hui rue Frébault, reliait à l’origine la paroisse des Abymes à la mer pour faciliter l’exportation des produits de la canne à sucre. Dans sa version contemporaine, elle abrite des commerces de vêtements, sans charme, et de joaillerie.

Les rues étroites sont bordées de petits immeubles dont la conception répond au souci de se protéger des maux divers — incendies, séismes et cyclones — qui ont régulièrement ravagé la ville. Cette architecture dite « haut et bas » garde des traits du bâti colonial : un rez-de-chaussée élevé en pierre, assez haut pour abriter les commerces, surmonté d’un ou deux étages en bois, ornés de longs balcons de fer forgé. Et par-dessus, un toit de tôle pentu, traditionnellement gris ou rouge, agrémenté de chiens-assis qui assurent la ventilation des combles.

Les fanfreluches de bois ou de zinc découpé qui courent le long des bords du toit, des fenêtres, des rambardes, égayent cette architecture simple et fonctionnelle : les ouvertures en retrait, à l’ombre du toit et des balcons, fermées de persiennes de bois, assurent à la fois le tamisage de la lumière et la circulation de l’air dans les pièces intérieures.

À quelques exceptions près, tout ce bâti est dans un état d’abandon plus ou moins prononcé. Le centre historique de Pointe-à-Pitre offre le visage fané d’une vieille dame provinciale et exotique dont les atours sont quelque peu défraîchis.

Il est borné au nord par une avenue à quatre voies qui marque la frontière entre quartier ancien et quartiers modernes. Des immeubles d’habitation sans grâce, mais gaiement colorés font de l’œil aux façades anciennes de l’autre côté du flot de voitures.

Nouveau cœur de ville, une place piétonne, avec jet d’eau, réunit l’Hôtel de ville et le centre des Arts et de la Culture, construits dans les années 1970. Architecture de béton brut, de blocs massifs, d’arêtes tranchantes, de façades aveugles.

Cette veine brutaliste est aux antipodes de l’architecture traditionnelle antillaise, toute d’ombre et de courants d’air.

Les couleurs acidulées dont les pointais badigeonnent leur mur, seraient-elles le moyen de réconcilier des univers si différents ?

On trouve dans ces quartiers modernes les grands services urbains, les écoles et lycées, l’hôpital, la Poste, quelques commerces… Mais la vie n’y est pas beaucoup plus animée que dans le centre ville. Où peut-on trouver les quelque 25.000 habitants de Pointe-à-Pitre ?

Car si Pointe-à-Pitre n’est qu’une sous-préfecture, elle est en revanche le poumon économique de l’île avec un port autonome et un aéroport international, par lesquels transitent tous les échanges qui assurent la vie économique de l’île.

Encore un peu plus au nord des nouveaux quartiers urbains, une voie rapide assure les liaisons de Pointe-à-Pitre avec les principales villes de la Guadeloupe — Pointe-à-Pitre se trouvant située à un carrefour stratégique de l’île, au point de jonction de la Basse-Terre et de la Grande-Terre — ainsi qu’avec les communes limitrophes, où se concentrent les zones résidentielles des classes sociales les plus aisées.

La voie rapide dessert également, vers le nord-ouest de l’agglomération, la zone de Jarry, vaste complexe d’activités commerciales et industrielles. Les bouchons qui ralentissent la circulation aux heures de pointe, témoignent de la concentration de population dans cette zone, où les gens viennent travailler, faire leurs courses, déjeuner, flâner dans les galeries marchandes.

La vie qui a déserté le centre historique se trouve là, dans cet archétype de la modernité, lieux de production et de consommation, lieux climatisés à l’abri de la brûlure du soleil et des pluies diluviennes, lieux sans horizon ni mémoire, lieux sans cocotiers, ni manguiers, ni courants d’air.

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