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Leçon d’astronomie dans un parc

Leçon d’astronomie dans un parc

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Au parc de Tres de Febrero ce jour-là, des hippies pratiquent des séances de méditation : apposition de mains sur le crâne et cloche tibétaine qui parvient difficilement à imposer sa note dans le brouhaha environnant. Au parc, un atelier de maquillage et de déguisement offre à des lycéens transformistes un look de manga ou de musicien gothique — mais à en juger par les cheveux colorés, la culture populaire japonaise l’emporte. Il y a surtout une ronde frénétique de jeunes filles autour du planétarium Galileo Galilei. S’adonnant à une bacchanale sage et inquiétante, elles rendent ainsi hommage, révolution sur révolution, à leur idole pré-pubère.

Tourner en rond en place publique en guise de manifestation est une folie extatique et politique qui ici a une histoire. À moins que ces jeunes filles n’imitent inconsciemment les cazoreladas de leurs parents bourgeois ? Pour les soupirs des amants, interrompit la Marquise, je ne sais pas si du temps de l’Arioste ils étaient perdus ; mais en ce temps-ci, je n’en connais point qui aillent dans la Lune. Fontenelle aurait eu à donner ses leçons d’astronomie galante dans ce parc, son badinage eût été bien différent. Le ciel nocturne de Buenos Aires a des constellations qu’en Europe nous ignorons. Cela a beau être évident, tenir la Croix du Sud pour référent appelle à une musique des sphères distincte. Comment les passions et la politique n’en seraient-elles pas affectées ?

Achevé en 1968, l’édifice du planétarium appelle ce jeu des humeurs et des désirs, de même que Versailles en ses jardins équilibre la rationalité classique et les soubresauts baroques. L’appareil à mirer le ciel se réfléchit lui-même dans un miroir d’eau de 47 m de diamètre. Le rez-de-chaussée est triangulaire, ainsi que l’étage intermédiaire qui sert de lieu d’exposition. Le deuxième étage abrite la géode du planétarium lui-même (280 places assises), laquelle est entourée d’un anneau saturnien de verre et d’acier qui sert de circulation intérieure et de belvédère sur le parc en même temps. Le premier sous-sol comprend des bureaux et le second sous-sols des machines : ceux-là sont de forme hexagonale. Ces cinq niveaux sont distribués par un escalier hélicoïdal. Trois larges courbes de béton arriment le bâtiment dans le sol, qui sinon paraîtrait devoir s’envoler bientôt dispensé de toute gravité. La relation géométrique des parties et du tout forment une architecture de particule élémentaire — un atome de carbone — et appelle une introspection sur notre destin cosmique.

La folie tranquille de ce jeu spéculaire produit ainsi une belle synthèse de la ronde indéfinie de la multitude en quête de sa propre psychanalyse. Magnifiques et étranges argentins qui font partie du problème comme de la solution et s’épuisent en charlas et manifestations !

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Auparavant

Un musée paysage

Ensuite

Effets de Pierre Ménard à Buenos Aires en décembre 2012

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