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Labyrinthe en ligne droite

Labyrinthe en ligne droite

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De la mer de Marmara à la Corne d’Or, éprouver le seuil de Constantinople au travers d’une marche le long de ces quelque sept kilomètres. Le mur de Théodose II est une coupe longitudinale dans la ville péninsulaire d’Istanbul… un ambivalent marqueur des contradictions de la mégalopole. En recueillir les ambiances, pas à pas.

*

Soleil levé sur la Mer Marmara, les bateaux attendent leur tour de passage. Au pied de la muraille, le tunnel sous le Bosphore s’apprête à sortir, bien que longtemps ralenti par Byzance, qui remonte en surface… CARTE Train dans une fêlure de la muraille, rouge bleu et blanc. Klaxons rapides pour signaler présence pressée.
Forteresse aux Sept tours, Yedikule. Ici pas de barrière pas de flèche pas d’explication : liberté de tout. Deux chiens se roulent à crocs perdus dans l’arène. Le gardien les regarde. CARTE Coups de sifflet du passeur de la porte. Choucas des tours. Pelle mécanique. Crissement sur les rails.
État de siège : le peuple des immeubles envahit celui des maisons, mais chacun fait son jardin. Côté mer : un homme sous un tilleul lit le journal dans la circulation du matin. Vent frais. Bruit de train. Klaxons et moteurs.
Côté terre : ça usine, ça roule et, sur la muraille, ça cultive des jardins. Les cagettes s’entassent en vrac sous une arcade comme chez soi. Moteurs. Aboiements. Terre battue sous la semelle.
Côté mer : ça détruit, ça charrie, ça pourrit. Esplanade de gravats et nouveaux habitats. Avec une gamelle, un garçon attire trois chiens. CARTE Vent frais. Bruit de terre et gravier sous les roues.
Par ici des vaches sous bâches attendent le foin en sac — tout à fait provisoires : Kurban Bayramı dans une quinzaine rendra leur sang à la poussière. CARTE Chants de radio dans une voiture orientale, à fond. Une sirène. Démarrage d’un diesel.
L’espace clos des étables oblige au détour. La fête nationale se banderole aux fenêtres, ici comme ailleurs. Aucun passage inaperçu derrière les rideaux, encore moins étranger. CARTE Bruit de pieds qui courent et qui se posent devant l’objectif. Rue sans parole.
Porte de Belgrade : dehors se commémore un jour la conquête. Aujourd’hui ni passeur ni sifflet, mais un éboueur tire son diable — un Kurde peut-être ? CARTE Pelle mécanique. Klaxons et circulation lente. Chant du vendeur ambulant.
Part ascendante : cultiver (jardins, cagettes, jardins encore, muret, routes à double voie, entrepôts, arbres, cheminée en brique, immeubles récents, minarets, ciel.) CARTE Circulation rapide. Coquilles de moule et tessons de verre au sol dallé en rose.
Glaner : au bord d’un champ en cage avancer avec la même courbure que ceux d’en face. CARTE Fourrés drus le long des jambes. Impasse du chemin de ronde. Saut.
S’évanouir : dans l’invisibilité des murs frais sous les arbres, trouver un havre de déchets. CARTE Odeur d’humide et de brulé. Sol meuble encaissé.
Se réunir : ronde de nuit dans le jour pour choisir la place de l’exclu, ici prévue. Odeurs organiques. Lumière tachetée.
Partager une mécanique antique de l’instant. Un garage, et sous une tonnelle de vigne deux hommes assis sur un banc boivent un thé. CARTE Un chien aboie, puis deux. Bruits mécaniques et d’un jet d’air.
Recycler : les voitures, les sacs de terre, les prières. Des hommes tranquilles ont cessé de deviser avec les chiens. CARTE Chants des muezzines de part et d’autre. Merhaba et Salam dans le creux des mains.
Damer : déligner les jeux pendant les lignes d’écriture des écoliers. Il est encore temps : deux hommes sous une tonnelle (de bâche bleue) sur des chaises (en plastique) boivent un thé. CARTE Vent frais. Chaleur au dos de qui le présente au soleil.
Isoler, bricoler, retaper : préparer l’hiver. La muraille aussi a trouvé les créneaux de sa restauration parcellaire. CARTE Bruit de marteau. Voiture qui passe. Voix d’enfants qui résonnent en ruelle.
Récupérer la pierre où elle se trouve, la poser sur la gouttière. CARTE Silence de la gouttière.
Improviser l’économie parallèle des matériaux récupérés, triés, séchés, pliés, rangés, transportés, vendus. CARTE Les cailloux roulent sous la semelle escarpée. Senteurs d’aromates.
Troquer, abandonner : les restes des chiffonniers. Habiter : deux dortoirs sous tentes organisent l’espace intérieur. Citerne, marmites, toilettes. CARTE Moelleux des tissus sous le pied, de temps en temps, un bouton, une fermeture, une perle craque.
Ici, au milieu des fourrés, un homme propose au passant de boire à la santé de la ville bien rangée, au-delà. CARTE Lumière tachetée sous le feuillage. Ronronnement d’une voie rapide.
, entre Edirne et Topkapı, une place s’ouvre aux cafés, aux collégiens sortis des cours, à une fille par l’un d’eux enlacée. Appels des muezzines d’une mosquée l’autre, des ténors.
En plein cœur : fracture de ville, fêlure de la muraille, brisure d’un quartier. TOKI a conquis. CARTE Toute odeur d’excrétion au donjon. Fraiche.
Au dessus de Sulukule, un couchage est gardé par un chien à peine endormi. Un Rom revenu dormirait à côté de chez lui ? CARTE Pelles mécaniques. Moteurs d’engins. Voix. Regard tendu du gardien armé.
Descente sur la Corne d’Or.Où une maison bleue se fait surveiller. Drapeau rouge et drapeau bleu. CARTE Moteurs. Portières. Éclats de voix pour qui veut se garer.
Où des gars et des filles échangent leurs voix et leurs pouces sur la ligne de touche, sous l’œil régulateur des pères au café du bord. CARTE Cris. Sifflet. Voix en mue et voix muées. Ballon frappé.= SON=
Où le touriste poursuit sa quête d’émerveillement, après la visite de Kariye devenue mosquée, sous l’œil amusé des enfants errants. **Bruit mat du ballon frappé contre la muraille. Voix d’enfants, aigues. *
Où les habitats provisoires durent depuis longtemps, en délavant les couleurs de l’instant, blanc de Grèce, or de Byzance et bleu de Gènes. CARTE Goudron crissant sous le pied et sous les roues.
Où l’architecture discrète d’une cabane de jardin se déclare un jour maison principale — et rosit. CARTE Silence de la muraille. Terre meuble et odeur humide.
Où les citrons attendent leur déambulation marchande ménageant les étapes du tabouret. Une télé ou une radio. Des voix. Mates.
Où se jette contre les fenêtres le cri habituel du fer qui se récupère… = SONCARTE Résonnance des pas, de la voix, des roues de la carriole.
Où le passage d’une poule manifeste l’un des villages dont se compose Istanbul. CARTE Caqueteries, et gloussement d’un vieux coq. Objets de bois déplacés dans le jardin.
Fin de la muraille. Bois, pierre et brique, hurdacı-fer, amour et laine, çamur la glaise : choc des matières en quête d’urbanité. *
Auparavant

Hagia Sophia — Sacrée sagesse

Ensuite

Ich komme aus Istanbul

2 Commentaires

  1. […] Labyrinthe en ligne droite " Urbain, trop urbain" From http://www.urbain-trop-urbain.fr – Today, 10:55 PM De la mer de Marmara à la Corne d’Or, éprouver le seuil de Constantinople au travers d’une marche le long de ces quelque sept kilomètres. […]

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