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Un éclair noir dans le ciel post-soviétique

Un éclair noir dans le ciel post-soviétique

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Un cinéma russe a aujourd’hui émergé, qui propose des divertissements spectaculaires non exempts d’un sous-texte réinvestissant la culture russo-soviétique, mettant en scène des personnages aussi influencés par l’Occident qu’affirmant une certaine fierté russe, tout en étant capable de regarder en face les faiblesses de la société, filmant Moscou dans toute sa complexité.


L’une des meilleures illustrations de ce cinéma est une superproduction de Bekmanbetov, le long métrage Chernaïa Molnïa (titré en français «L’éclair noir», 2009) réalisé par Dmitri Kiselev et Aleksandr Voïtinski.

Ce film a visiblement bien médité les précédents américains, reprenant le schéma des «Spiderman» de Sam Raimi, avec le principe d’un étudiant ordinaire dont un  superpouvoir transforme subitement la vie, amenant son lot d’épreuves et une conscience de ses responsabilités. Mais là où les américains prirent un prétexte génétique, l’élément déclencheur pour le jeune héros russe est la découverte inattendue d’une incroyable technologie soviétique cachée dans une vieille voiture Volga GAZ 21…

Posséder une voiture qui vole est un excellent moyen d’éviter les embouteillages des boulevards, et de se garer en paix sur les toits des gratte-ciel soviétiques… Mais face à la convoitise d’un oligarque richissime, le héros va devoir choisir entre le confort égoïste et le sacrifice de soi. Dans leurs choix narratifs, les scénaristes et réalisateurs ont non pas copié leur modèle hollywoodien, mais cherché à en réaliser un équivalent russe — tout comme les architectes de la période stalinienne s’étaient inspirés de la Renaissance pour donner à l’URSS des palais synthétisant l’histoire culturelle mondiale, l’adaptant à la création soviétique.

Cette appropriation est très nette dans «L’éclair noir», film classiquement initiatique, qui oppose la froideur capitaliste d’oligarques cyniques en leurs bureaux modernes glacés et toute une galerie de personnages partagés entre ambition, lâcheté, faiblesses, courage, volonté, altruisme, survivant dans des appartements fatigués, rêvant d’avenir à l’occidentale ou vivant de souvenirs soviétiques.

Un plan ultra symbolique confronte ainsi l’étoile à trois branches du logo de Mercedes à la bondissante gazelle chromée soviétique résistant à la limousine occidentale. La Moscou léguée par l’URSS y devient un décor à la fois familier et étrange, servant le récit, exprimant la détresse ou l’exaltation des protagonistes. Ainsi l’ombre puissante de la somptueuse Université Lomonossov semble à la fois un abri rassurant et un dédale où chuter.

«L’éclair noir» est typique de la Russie actuelle, affirmant une certaine fierté retrouvée, lisible dans une réplique telle que «L’Occident a son histoire, nous avons la nôtre». Aujourd’hui Moscou réaffirme sa personnalité, reconstruisant ses imaginaires, se détachant de la fascination occidentale, cherchant à construire une culture russe entre tentations nationalistes et émergence de nouvelles tendances, qui s’ajoutent à la ville dantesque. Dans les années 1930, les comédies de Grigori Aleksandrov (Le Cirque, Volga Volga, La Voie lumineuse) enregistraient les changements de Moscou et de l’URSS). De nos jours, «L’éclair noir» évoque la Moscou post-soviétique, qui bouscule ses mémoires et ses espoirs.

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L’expérience univoque du Grand parc

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Moscou, les cendres du mythe

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