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Berlin hors limite

Berlin hors limite

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Dans le couloir du chemin de ronde, qui définissait la « bande de contrôle » du Mur, les clôtures d’alarme laissaient passer en bas les lapins, tandis qu’en haut des câbles suspendus donnaient aux chiens un segment de déplacement de 70 mètres chacun. Puis, au milieu des années 1980, les chiens ont été lâchés en liberté dans le couloir du chemin de ronde. Au moment de la Chute, les derniers projets de « modernisation » du Mur reposaient sur le déploiement d’électronique de surveillance, d’infrarouges et autres caméras.

L’efficacité de la délimitation a connu une séquence où l’on était progressivement passé du colmatage frontal (« nous avons colmaté les fissures de notre maison et bouché les trous à travers lesquels les pires ennemis du peuple allemand pouvaient se faufiler. », Neues Deutschland, 13 août 1961) au dégagement longitudinal, grâce auquel un signal d’information pouvait se propager sans obstacle et l’action à distance gagner en optimum.

Sans doute les institutions politiques qui président à l’édification des murs changent-elles et sans doute les contextes de séparation entre les hommes varient à l’infini. Mais leurs dispositifs de spatialisation – y compris lorsqu’on leur prête un caractère « virtuel » – empruntent sensiblement la même grammaire : éviter la fuite par toutes sortes d’occultations, développer des gradients de visibilité par des technologies de surveillance.

À l’époque où des murailles encore bien concrètes enserraient les villes indépendantes et les libres républiques, Machiavel enseignait que le Prince devait « savoir bien utiliser la bête », et choisir à la fois « le renard et le lion ». Je me demande parfois si nos récits et nos pratiques, dont on désire qu’ils deviennent libératoires et nous portent à l’échappement de nos murs intérieurs, je me demande souvent s’ils ne sont pas une certaine façon « d’utiliser la bête » et de jouer à la fois du lapin et du chien dans une étroite bande de contrôle.

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Encres réalisées par Frédéric Malenfer, coauteur de Périphérique intérieur. Merci à Collage Lab pour l’initiative et l’organisation de Berlin Unlimited, premier festival urbain berlinois mêlant les arts, l’architecture et la prospective urbaine. Merci à Joanne Pouzenc pour son invitation à y participer avec un « Autobahn’Strip » et pour son accueil chaleureux.

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1 Commentaire

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