Le Louvre s’est installé à Lens. Et pas juste une annexe, mais un bâtiment au dessin contemporain pour mettre en valeur des chefs d’œuvre du plus prestigieux musée du monde. À l’occasion de cet événement, le pôle web d’ARTE et Le Louvre ont voulu raconter un autre versant de cette aventure, sous la forme d’une grande fresque interactive et sonore donnant la parole aux Lensois. L’espace d’une semaine, les équipes d’ARTE Radio, accompagnées d’un auteur de bande dessinée, Will Argunas, sont allées à la rencontre des habitants de cette capitale minière, envers laquelle tous les Français ont une dette historique. Elles ont écouté, fait parler, discuté avec les nouveaux hôtes d’œuvres majeures comme « La Liberté guidant le Peuple » de Delacroix. Il en ressort une mosaïque de scènes de genre, chroniques sociales ou poésies du quotidien, tout un tableau dans lequel nous vous invitons à entrer. Urbain, trop urbain a assuré l’étude d’avant-projet, le conseil éditorial et la rédaction des textes.
La mythologie du quotidien est assumée par des voix d’habitants se prêtant au jeu de la création radiophonique : certains convoquent une anecdote propre à caractériser selon eux l’esprit du lieu, d’autres endossent un personnage de fiction, ou bien décrivent un de leurs minuscules rituels urbains à la saveur poétique…
Voix familiales, voix sociétales, voix d’originaux, voix d’amoureux précaires… Dans une ville moyenne de province à demi sinistrée à laquelle on propose un projet culturel fabriqué à Paris…

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Envoi

Des pavillons, une friche, les premières rues le long des voies, le clocher au loin, un parallélépipède de bureaux… La silhouette de ville moyenne se précise, puis nous descendons à quai de la jolie gare Art déco. Nous sommes à Lens. L’antenne du musée du Louvre ouvre ici : un bâtiment contemporain pour abriter des chefs d’œuvre de ce patrimoine artistique propriété de tous les français…

Peuple de France, habitants de Lens qui accueillez la Liberté, parlez-nous de vous ! Les portes des maisons s’ouvrent, dans les cités minières et dans les HLM. Allons au PMU ou à la boulangerie. Écoutons ces témoins. Laissons-nous prendre par la main pour une déambulation urbaine lensoise tendre et triste à la fois.

Mémoire carbonifère

Mon père est mort à 56 ans de la silicose. Quand il faisait brouillard, il n’arrivait plus à respirer. Hériter, mais de quoi ? De ce paysage post-industriel ? Liévin, Loos, Oignies, Hénin-Beaumont, Sallaumines… Les villes proches forment avec Lens un patchwork aux coutures indécises et aux fractures communes. La mémoire y circule dans la langue chargée des boyaux rouges, hommes qui par la parole et par le regard aiment ce relief de terrils, de chevalements et de clochers. Une mémoire demeurée inscrite dans la forme de ces villages-rues, cités minières, paroisses et autres petits pôles urbains, entre lesquels se faufilent de longues coulées vertes et paravents boisés… Mémoire qui va se dissoudre en brouillard, à la fin, dans un autre pays, plus plat et agricole, au pied des collines d’Artois…

Jeux d’espoirs

Lens, ville sinistrée. Placard des journaux pour décrire celle qui ne s’est pas relevée de la crise. Reconversion ratée des années 1990… Le projet du Louvre-Lens serait, espère-t-on, une chance de redresser le territoire et de le faire rayonner. Cet enjeu est hors l’échelle du quotidien. Devant leur petite coupe de mousseux ou leur bière, les turfistes composent leurs paris sur les dernières courses de la matinée, au PMU. Jeux d’argent et de hasard sont interdits aux mineurs, placardé en évidence à côté du comptoir. Les mineurs, où ça des mineurs à Lens ? Le 1, le 3, le 8, le 9, résultats de la dernière. On trompe le temps ce dimanche encore. Virginie, tu me mets un Astro Bélier si tu as ? Autres jeux, espérances flouées.

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Combats ordinaires

Ils vont encore raser des maisons des mines, rue Salengro. Tout un tas de petites morts font vivre les villes, qui se nourrissent des droits de propriété légués, du sol exproprié, des pertes d’usage. On peut maugréer que ça ne va pas, qu’on n’est pas d’accord, et ce sont petites querelles de bonne guerre. Les vieux qui font leur promenade le long du stade Bollaert voient la végétation recouvrir la fresque en hommage à Marc-Vivien Foé, le camerounais qui a donné au Racing Club le premier titre de vainqueur de la coupe… Peut-être le vélodrome Maurice Garin laissera-t-il place à son tour à cet hypothétique Hôtel de luxe face au Louvre… Lequel musée est érigé sur le carreau de la fosse 9 des Mines, bordé à l’ouest par la cité Jeanne d’Arc et au nord par la cité Saint-Théodore, elles-mêmes reconstruites après la Grande Guerre

Maison des siens

Maison du projet, maison syndicale, maison des mines… Toutes ces maisons sont nôtres, car c’est la surprise de cette dénomination générique. Qui dit maison, en effet, désigne là où on habite, là où on demeure, chez soi quoi. Grande résidence, Grands bureaux… Neutralité de ces appellations qui disent le refuge, disent le travail. Les jours tranquilles de Lens coulent empreints de cette modestie si particulière. Comme une façon pour la ville d’exprimer la simplicité de sa durée, de son histoire, ses maisons toutes pareilles par le nom ou bien la couleur de brique allument pour vous la lumière du foyer. Ce qui n’est pas un vain mot, on vous le dit, c’est l’hospitalité des lensois.


 

Découvrir la fresque interactive sonore

 

Illustration, ©Will Argunas

Dans cette ville sinistrée, durement touchée par la crise de reconversion des années 1990 et où la part du logement social dépasse les 60%, le projet du Louvre-Lens est promu par les acteurs publics comme une «chance» de relever le territoire et de le faire rayonner. Le fameux «effet Bilbao» après lequel courent de nombreux édiles est clairement revendiqué dans les documents de communication…
Les terrils, ©Will Argunas

«Le Louvre en sang et or»: en 4 par 3 c’est la Liberté guidant le peuple qui figure en publicité sur la façade à côté de l’Hôtel de France, face à la gare. Face à la gare aussi et à sa place pavée de neuf en pierre rouge, le spectacle étrange d’une façade cramoisie Art déco qui tient là, esseulée, les fenêtres de cet ancien cinéma démoli — l’Apollo — donnant sur le ciel.
Bas-côtés, ©Will Argunas

Le train approche en gare de Lens. Cornouillers, acacias et ronces. «Lens Poste 3». Quelques tags. Des TER de la Région Nord-Pas-de-Calais sont en stationnement long sur une dizaine de voies herbeuses. L’église se remarque en majesté au loin, sa nef est visible. Le bâtiment de verre bien haut, c’est le quadrilatère de la Caisse d’épargne. Un TGV entre en gare. Il pleut et la tour horloge de la gare Art déco en forme de locomotive affiche 11h. C’est dimanche.