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Lisbonne saudade

Lisbonne saudade

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Vende-se (à vendre), aluga-se (à louer) : deux motifs qui hantent les avenues, rues et ruelles de Porto et de Lisbonne. Portes condamnées, fenêtres murées, vitres brisées, toits menaçant à tout moment de s’effondrer … Je ne m’attendais pas à trouver un décor de film catastrophe dans les deux plus grandes villes du Portugal.

Aux murs délabrés, des traces de la grève générale du 14 novembre sont visibles. Greve geral graffité sur de nombreuses façades, comme le dernier souvenir du défilé d’une foule devenue invisible… Maisons de style Art Nouveau condamnées, immeubles de caractère dont les murs ne tiennent plus que par des échafaudages en bois plantés à l’arrière, grands ensembles d’après-guerre fermés et datant du régime salazariste… C’est l’ensemble du bâti urbain de Porto et de Lisbonne qui semble aujourd’hui menacé de disparition. Des rues entières sont désertées, les constructions se délabrent sans que le moindre signe d’une réhabilitation prochaine ne se dessine. Même si les bruits, les gestes, les odeurs du quotidien et de la ville restent présents sur les grandes places et dans les pastelarias (pâtisseries traditionnelles) — des lieux incontournables de la sociabilité portugaise — une atmosphère étrangement calme, presque fantomatique, flotte dans l’air. Et pour cause : les chiffres officiels avancent le nombre de quatre mille immeubles abandonnés à Lisbonne. On pourrait penser que ce taux est directement lié à la crise économique récente, si ce n’est que la ville a aussi perdu la moitié de ses habitants en l’espace de trente ans. Mais alors, la désertion des centres urbains au Portugal plongerait-elle ses racines plus profondément ?

Lorsque j’interroge Marta Gomes, vendeuse au marché d’Anjos, elle répond que la raison est d’ordre géographique avant tout. Les Portugais préféreraient à la topographie escarpée des centres anciens des quartiers plus excentrés mais construits sur des terrains plats. Elle-même réside à Quinto da Fonte, une banlieue au nord de la ville. Il est vrai qu’il faut être en bonne condition physique pour parcourir les quartiers du Bairro Alto, de la Baixa et de l’Alfama (le centre historique de Lisbonne) tant les pentes à gravir sont ardues et nombreuses. En mauvais état, les immeubles d’habitations de ces quartiers traditionnels dont les façades sont recouvertes d’azujelos continuent de se détériorer, faute de moyens pour financer leur rénovation. Mais dans les quartiers populaires tels que Graça, où cohabitent immigrés des anciennes colonies portugaises (Angola, Cap Vert et Mozambique entre autres) et retraités portugais, la vie continue. Les grandes artères comme l’Avenida Almirante Reis, le poumon de Graça, paraissent toutefois survivre à la crise si l’on en juge aux foules qui s’y pressent de jour comme de nuit. Plus à l’ouest, les ruelles du Bairro Alto — un quartier prisé par les étudiants Erasmus — s’animent à des heures tardives et vivent au rythme des musiques électroniques. Comme partout en Europe… Pour Joao Alvès, gérant d’un restaurant alternatif (chaque client paye selon ses moyens) à Porto, la raison en est l’exode non pas vers les banlieues mais vers un autre horizon, le Brésil. Car pour la jeune génération, le Portugal ne tend pas ses bras vers l’Europe des 27 mais vers les Amériques, terre promise de l’autre côté de l’Atlantique et éloignée de la crise et du chômage européens. Enfin, il y a les optimistes résolus, comme Amalia ma voisine dans le train vers Porto, qui assurent un peu philosophes que la crise n’est qu’une fin de cycle et qu’il ne faut plus qu’attendre que celui-ci s’achève. Privé de son Ministère de la culture depuis la mise en place du plan de restriction de 2011, le Portugal ne semble en tout cas pas décidé à offrir une rénovation urbaine digne de ce nom à Porto et à Lisbonne avant longtemps. Mais si les politiques culturelles fonctionnent au ralenti, il est étonnant que des projets individuels ou à petite échelle n’aient pas émergé de ces espaces vides. Associations culturelles, ateliers d’artistes ou même installations en plein air, les opportunités de réinvestir l’espace public sont pourtant nombreuses.

Villes sans vie, villes maudites, Porto et Lisbonne déroutent leurs visiteurs. Fernando Pessoa reconnaitrait-il encore en Lisbonne la ville de son enfance, celle des « dômes, des monuments, des vieux châteaux [qui] surplombent la masse des maisons, tels les lointains hérauts de ce délicieux séjour, de cette région bénie des dieux » ? (Lisbonne, 1922)

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2 Commentaires

  1. frechin
    à

    Une vision de surface…. ce n’est pas ma ville… ces ruines n’ont rien avoir avec la crise actuelle, mais un mille feuille de lois remontant à salazare. Les portugais ont également abondonné les centres pour de belle maison en banlieue.. (cycle Loop)

    «  »Villes sans vie, villes maudites, Porto et Lisbonne déroutent leurs visiteurs » » plutot ville nostalgique, ville ouverte sur l’océan, Lisboa est une ville ou la nuit est certaienement la plus joyeuse d’Europe ;=)

  2. Et lire le texte, peut-être, donnerait une conclusion assez voisine.

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