Extrait
Combien de fois avais-je consulté ces statistiques pour cultiver mon étonnement, me persuadant du caractère spectaculaire de ce naufrage ? « Rendez-vous compte, au même rythme que le Bangladesh ! » J’exhibais une carte où figuraient toutes les pertes comptabilisées depuis 1930, et celles à venir d’ici 2030. Conforté par le bruit de fond du réchauffement climatique dont les actualités égrainaient au quotidien de nouvelles preuves, ayant accumulé la documentation suffisante à réifier mon imaginaire post-apocalyptique, je m’attendais – sans doute avec cette perversité naïve qu’ont les enfants qui contemplent l’inondation d’une fourmilière – à devenir le témoin d’une catastrophe sublime. Pline ordonnant aux marins de Misène de s’approcher davantage de l’éruption du Vésuve afin d’en être un chroniqueur plus précis… Je me figurais aussi que la Nature s’invitant ainsi à la porte de l’Histoire des humains, toute en majesté, devait faire un sérieux tapage. Mais d’une certaine façon, le voyage est un heureux apprentissage de la déception. Ce que l’on pensait voir et entendre, ce que l’on croyait devoir être manifeste et bruyant cède alors la place à des sensations ténues, ainsi qu’à une lente infusion, dans la perception, de réalités éthérées et muettes. On a affaire à des spectres, pas à des icônes. On abandonne alors les panoramas grandiloquents et, pour autant que l’on accepte d’être déconcerté un temps, on s’essaye à pister ces fantômes, à reculons. Rebrousser mes pas dans le mystère des deltas.
Voyages en sol incertain bénéficie d’une double publication. L’édition imprimée est assurée par Wildproject et l’édition numérique augmentée par La Marelle. Le récit est accompagné par des encres de Frédéric Malenfer. La version numérique augmentée propose par ailleurs des séries photographiques et des vidéos de l’auteur.
« Dans ce monde abîmé, il nous faut de nouveaux récits – des récits qui puissent raconter les conflits écologiques, faire place à d’autres voix et à d’autres formes d’existence, documenter ce qui est et imaginer ce qui vient. En voici d’exemplaires, et stupéfiants : récits d’eau douce et d’eau salée, de rivières étranglées, de sédiments, de rencontres, de saccages et de revies… Matthieu Duperrex se tient “là où les eaux se mêlent”, et raconte en trente-et-une histoires et un poème le fantastique embrouillement de lignes de vie et de lignes de mort que recèlent aujourd’hui les deltas. »
Marielle Macé, historienne de la littérature
« Matthieu Duperrex compose ses récits paysagés de strates métamorphiques savamment pétries de lieux, de temps longs et de catastrophes, d’anecdotes et de chiffres, d’humains, de plantes et d’animaux. Fils naturel ou féral d’Anna Tsing et de Hugo, il conjugue dans ses intrigues la diligence de l’enquête à l’urgence de l’incantation. »
Jean-Christophe Cavallin, critique, magazine Diacritik
« Comme tous les livres importants, Voyages en sol incertain reconfigure le rapport du langage au monde. »
François Bon, auteur
« De cette géopoétique critique rédigée comme une épopée initiatique souvent truculente bien que profondément accablante, ce récit de voyage particulier construit un Anthropocène singulier, plus tendre, bien que tout aussi menaçant que sa version technocratique ou purement stratigraphique. »
Bénédicte Ramade, critique d’art
« Loin des considérations théoriques éthérées, cet ouvrage est à la fois fascinant du fait de son appréhension des enjeux environnementaux, son invitation à “accueillir ces nouveaux colocataires” non-humains présentés dans chacun des microrécits, et pour sa capacité à renouveler l’enquête aujourd’hui… avec un équilibre de chaque instant entre considérations théoriques légères au tout début et évocations poétiques qui vont croissantes au cours du livre. »
Nicolas Nova, anthropologue
« Une lecture du monde à partir de ses sédiments où se croisent enjeux contemporains, profondeur historique, descriptions poétiques, anecdotes et récit subjectif. Donne à penser, à rêver et à se divertir. »
Benjamin Pelletier, auteur
« Un livre d’une absolue nécessité. C’est l’œuvre d’un écrivain et d’un observateur passionnant des enjeux les plus essentiels de notre planète. »
Hervé Floury, Librairie Floury Frères
« Nous voilà face à des mondes que nous n’avons pas su apprécier, avec lesquels nous n’avons pas su composer… Que nous n’avons su que défaire, décomposer… Et que nulle nostalgie ne ramènera. Quand bien même nous souillerions nos chaussures, les colorants de boue… Pour croire que nous pouvons entrer encore en relation avec “la texture du monde”. Magique et poétique ! »
Hubert Guillaud, journaliste
Un récit issu d’une résidence à La Marelle
Implantée depuis 2010 à la Friche de la Belle de Mai (Marseille), La Marelle soutient la création littéraire et accompagne les auteurs dans leurs projets en leur offrant un espace de vie, des moyens financiers et humains. Elle édite, produit et diffuse des œuvres singulières, innovantes et généreuses.