Arts de dire, arts de voir dans un monde abîmé
Le théâtre des Amandiers, à Nanterre, accueille du 1er au 5 février 2020 une programmation conçue par Marielle Macé, Frédérique Aït-Touati et Alice Leroy. Imaginé comme un atelier théorique et pratique, mêlant recherches, lectures, moments de création, de projections, d’installations, ce séminaire développé en partenariat avec l’EHESS et l’École des arts politiques (SPEAP, Sciences-Po) entend réfléchir aux nouvelles formes d’attention et de récits que suscite le « moment-anthropocène », entre arts et anthropologie du contemporain.
Programme détaillé
Le samedi 1er février, 15h-18h
[Entrée libre sur inscription]
Marielle Macé, auteure associée à Nanterre-Amandiers, et Ariane Michel investissent plusieurs espaces des Amandiers pour tracer une longue ligne verte et inviter à penser et éprouver nos rapports actuels (liaisons et déliaisons) au vivant végétal.
On entendra des sirènes chlorophyllées, on goûtera du vert toxique (un vert bien trop nourri par les activités humaines sur les côtes bretonnes) ; on réfléchira, en poème, à ce que c’est que voir le vert aujourd’hui — à l’aventure perceptive, politique, que cela constitue ; on plongera de toutes ses oreilles dans une forêt sonore, archaïque mais faite à l’aide de bouts de plastique et d’objets de rebut ; on tentera même un safari dans les images du métro…
Cette après-midi est ouverte à tous, écho amical à la création de Farm Fatale de Philippe Quesne — on entendra d’ailleurs l’un de ses épouvantails pousser sa drôle de chanson, vert tendre.
• 15h, Accueil
• 15h30, Performance, « Tue-les, Laitues ».
• 16h, Conférence-poème, « Being green », Marielle Macé
• 17h, Projection, installation sonore, « La forêt des gestes », Ariane Michel (2016, 24 mn).
Le lundi 3 février, 10h-18h
[Entrée libre sur inscription]
De la Terre nous connaissons des surfaces : surface du globe terraqué, surface de l’eau. Surfaces que nous croyons connaître, que nous arpentons, mesurons, cartographions. Or l’intérêt croissant pour les « sciences du système terre » invite à s’interroger sur les profondeurs, et l’existence de paysages invisibles. Des questionnements du XVIIe siècle (de Kircher à Cavendish), en passant par l’intérêt contemporain pour la « zone critique », c’est la Terre sous-terraine et sous-marine que nous explorerons lors de cette séance du séminaire.
Dans la matinée, nous ferons un parcours textuel à travers les sous-sols, les mines, les coupes, entre géologie et archéologie, sciences du système terre et cartographie des profondeurs.
L’après-midi sera consacrée à la projection du récent film de l’artiste Sonia Lévy, For the love of corals (2018), film d’enquête sur l’univers sous-marin des coraux, présenté pour la première fois en France. Sonia Lévy sera présente pour une discussion sur le renouvellement des pratiques naturalistes à l’ère de l’anthropocène, et sur son travail, entre laboratoire et cinéma, autour des mondes invisibles sous-marins et souterrains.
Le mardi 4 février, 10h-18h
[Entrée libre sur inscription]
Vivre dans un monde abîmé, c’est habiter des paysages foncièrement incertains, grands lacis de lignes de vie et de lignes de mort : c’est vivre avec des déchets, des fantômes, des être hybrides, des poisons, des dangers ; mais aussi des rêves, des désirs, des inventions, des pratiques bien vivantes, puisque « la vie toujours invente » (G. Clément). C’est ce grand mélange, instable, périlleux, surprenant, ainsi que les manières de le penser, de l’éprouver et de l’écrire, que l’on explorera.
La matinée sera consacrée à des réflexions autour de l’idée d’incertitude, des nouvelles pensées des paysages (altérés, « féraux »), et des transformations que cela implique dans les manières d’écrire. On lira des pages d’Anna Tsing, Sophie Houdard, Jean-Marc Besse, des récits d’Alexandre Laumonnier et de Lucie Taïeb, et des poèmes soucieux de ces paysages de « diversité contaminée ».
L’après-midi, on recevra Matthieu Duperrex, philosophe et artiste (auteur notamment des Voyages en sol incertain, Wildprojet, 2019). Il proposera un ensemble composé de rushs vidéos, de lectures, et d’un exposé illustré sur le « paysage sentinelle » et le « paysage féral » (en appui à sa dernière enquête à Casablanca, consacrée aux eucalyptus coloniaux qui bordent l’oued fantôme)…
Le mercredi 5 février, 10h-18h
[Entrée libre sur inscription]
À une époque où les êtres vivants n’appartiennent plus à l’ordre naturel de la reproduction sexuelle et où les intelligences artificielles sont appelées à surpasser celles de leurs concepteurs humains, il n’est plus possible de revendiquer le privilège anthropique que nous nous sommes longtemps octroyé. Alors que les mondes autres qu’humains – animaux, forêts, et toutes espèces vivantes – subissent plus que nous encore le coût de nos existences, un certain nombre de films tentent de raconter ces histoires de mondes abîmés, en décentrant la perspective anthropique.
La matinée sera consacrée à un parcours en images à travers ces réalisations, jouant volontairement de leurs contrastes : cinéma d’auteur et blockbuster, documentaire et science-fiction, film expérimental et ethnographique…
L’après-midi, on projettera le film de Koji Fukada, Sayonara (2017), récit de science-fiction adapté de la pièce éponyme du metteur en scène Oriza Hirata. Cette fable futuriste sur la disparition de l’humanité — rattrapée et dépassée par ses créations technologiques, anéantie par une puissance nucléaire dont elle n’a pas su maîtriser les risques — , réunit deux personnages : une jeune femme atteinte d’une maladie incurable et une androïde domestique. La science-fiction s’avère bien plus qu’une vision pessimiste du présent pour Kôji Fukada. Elle interroge le statut ontologique et social des êtres autres qu’humains qui peuplent déjà notre quotidien, ces existences privées de citoyenneté et de droits, réduites à la servitude et déniées dans toute revendication d’égalité. L’androïde n’est jamais qu’un prisme à travers lequel envisager « le mal minuscule des vies sans importance » et sans valeur (Foucault), celles qui n’ont droit à rien et qui, autrefois condamnées à l’enfermement ou à l’internement, sont désormais abandonnées à leur sort sur une terre invivable.
En écho à la projection du film, les participant.e.s sont invité.e.s à voir la pièce de Stefan Kaegi et Thomas Melle, La Vallée de l’étrange, présentée du 30 janvier au 2 février au Centre Culturel Suisse et du 5 au 8 février à La Villette.
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