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Nous présentons ci-dessous une brève chronologie des événements que l’on peut regrouper sous la catastrophe de l’ouragan Katrina.

Le dixième anniversaire de Katrina est imminent et ce serait difficile d’échapper ici, à la Nouvelle Orléans, à l’effort de commémoration auquel participent toutes les institutions comme la presse, y compris internationale.

Régine Robin a décrit le phénomène de « mémoire saturée », c’est-à-dire l’instrumentalisation de la mémoire et le maniement commémoratif des symboles, lequel peut même constituer « une des formes perverties de l’oubli ».

Silence, mépris, refoulement, agitation mémorielle : ce sont là plusieurs formes de transaction avec l’histoire qui impliquent une interprétation du passé et, souvent, un dédouanement vis-à-vis de certaines responsabilités. Il y a dans le silence ou le détournement une stratégie collective bien davantage qu’une amnésie.

Avec l’ouragan, catastrophe qu’on peut assez aisément – mais est-ce juste ou sinon exact ? – placer en dehors de la logique d’imputation de responsabilité, le principe d’équivalence de situation devant l’événement (« nous avons tous subi la catastrophe, nous étions tous dans le même bateau, la ville entière a eu des plaies à panser… ») triomphe. Un universel victimaire l’emporterait ainsi sans mal dans l’évocation mémorielle, et la tournure narrative du rappel de l’histoire pourrait encore davantage y contribuer.

Sur quel « jour de mémoire » les autorités et la population se sont-elles entendues ? Bien évidemment, sur le 29 août, le moment du choc, et pas sur les longs jours de septembre qui ont vu des milliers de pauvres laissés à eux-mêmes dans une situation sanitaire effroyable, ces jours qui ont marqué la défaite du système de secours américain, sans parler des dysfonctionnements de la procédure d’évacuation de la ville (aucun transport public mis à disposition par exemple).

A-t-on donc toutes les chances d’assister à une bifurcation de la mémoire, à un oubli des responsabilités devant le désastre ? Cette question qui nous taraude est pour ainsi dire absurde dans la culture américaine. Ce qui lui importe, ce qu’elle relève avant tout, c’est le rebond communautaire, le rebirth au-delà de la reconstruction équitable. C’est rabâché à l’envi par les politiques, les acteurs sociaux, comme par les prêtres ou même les musiciens. La Nouvelle Orléans a été désignée par Obama parmi les dix villes pilotes du programme « Resilience AmeriCorps Cities » qui vise à constituer un contingent local de personnes formées pour répondre à la survenue d’un événement « extrême » lié au changement climatique.

La notion de résilience qualifie, en plus ou en moins, la capacité d’une communauté à prendre en charge la vulnérabilité des systèmes urbaines à la catastrophe au travers de stratégies adaptatives. La tentation est forte de construire sur ce constat des programmes de gestion du risque dont l’aspect quantitatif et managérial gomme, in fine, ce qui constitue l’intérêt de la notion de résilience et sa complexité, à savoir la dimension anthropologique et culturelle. La résilience devenue un horizon d’attente et un « mesurable » inscrit dans un univers de maîtrise, on transfère alors à nouveau sur la situation contemporaine une logique moderne de partition entre l’environnement (les forces subies) et l’action humaine (le pilote de la machine, même « déréglée », comme dans le cas du réchauffement climatique).

Il serait hasardeux de prétendre qu’un sentiment d’ensemble domine à l’ouverture des commémorations du dixième anniversaire. Qu’il y ait des oubliés de la reconstruction crève les yeux. Que la ville présente aujourd’hui une allure dynamique et un entrain joyeux est tout aussi évident. La forteresse New Orleans a jamais été aussi solide pour affronter les futures catastrophes climatiques : quinze milliards de dollars ont été investis depuis Katrina dans les systèmes de protection ou de gestion des tempêtes. Mais s’il n’y avait que ces murs, on ne comprendrait rien à l’âme qui souffle encore ici et qui s’exprime notamment par les rituels et les pratiques, les manifestations de foi, les baptêmes, les petites cérémonies et les grandes fêtes, les lignes des processions et les cercles de la magie Voodoo… Dans tous ces arts de faire on décèle la crainte et l’espoir mêlés pour la vie, on lit un savoir non technique et non abstrait de la nature, d’une Wildness qui serait « la préservation du monde » (Henry David Thoreau). On apprend du respect de la fragilité humaine les enseignements pour l’avenir, l’à-venir de la catastrophe. Celle-ci, c’est certain qu’elle frappera à nouveau à la porte blindée de la Nouvelle Orléans.

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Auparavant

Atchafalaya Basin Bridge

Ensuite

Parade

3 Commentaires

  1. […] Dans l’écran web, la peinture « dioramique » mettra ainsi en scène une forme épique moderne, celle d’un Mississippi métamorphosé par l’intervention humaine. Une géologie paradoxale s’y exprimera, entre nature et culture, à l’intérieur des plissements artificiels du sol, aux abords des murs de béton et d’acier qui protègent la ville et promettent « cent ans de réduction des risques climatiques », le long du trait de cote du Golfe du Mexique irréversiblement entamé, au contact de l’eau saumâtre qui gagne les terres intérieures et tue les marais, à la vue des cheminées fumantes des raffineries, dans la résonance sourde des secrets dômes de sel qui servent de stockage au pétrole, à l’intersection folle des quarante mille kilomètres d’oléoducs de la Louisiane, au son des remorqueurs qui guident les tankers et les vraquiers, à la rencontre des trailers parks miteux et des architectures blessées par Katrina… […]

  2. […] quelques jours du onzième anniversaire de l’ouragan Katrina, l’administration Obama (le gouvernement mexicain lui a d’ailleurs emboité le pas) […]

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