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Petite typologie illustrée des butoirs montparnassiens

Petite typologie illustrée des butoirs montparnassiens

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Bien que le 22 octobre 1895 en gare du Montparnasse les butoirs aient fait la preuve, aussi irréfutable que sublime de leur inutilité, la gare, réparée dans un premier temps puis reconstruite un peu plus loin, pas rancunière, leur a maintenu toute sa confiance et trois types de butoirs y sont aujourd’hui en service.[1] Trois et non quatre car je ne compterai pour rien le bricolage approximatif — espérons le provisoire — à base de matériaux de récupération qui en tient actuellement lieu en bout de voie 25 (donc en gare annexe Vaugirard) — voie par ailleurs de sinistre mémoire déraillante.

Selon les voies où ils sont attendus, les trains entrant en gare de Paris-Montparnasse terminus de ce train sont donc dissuadés d’aller voir si l’herbe du parvis est plus verte par :

–       des butoirs béton allumettes à pastilles des voies 1 à 10 et 17 à 24,

–       des butoirs béton blockhaus à embrochoirs des voies 11 à 16,

–       des butoirs métal et bois tréteaux à lanternes voies 26 à 28 annexe Vaugirard.

Si je comprends bien, la répartition des trois modèles de butoirs est induite par la nature des trains auxquels ceux-ci sont appelés à faire face — et subséquemment par les trois types de clientèles/voyageurs qu’il s’agit de ne pas précipiter dans le vide par la verrière en un mauvais remake.

Remarque à propos de « remake » : ce terme emprunté au vocabulaire cinématographique me conduit à rappeler que l’année même du célèbre accident de Montparnasse, dans une gare méridionale la célèbre fratrie Lumière filmait l’arrivée d’un train qui certes s’arrêtait comme il se doit, sagement, mais impressionnait néanmoins durablement, et pas que la pellicule. Les images fortes, fixes ou animées, des locomotives, pendant penaude ou en majesté, de 1895 ont marqué les inconscients — avec ou sans butoir. Grain à moudre pour le docteur F. qui bientôt, à Vienne Berggasse 19, entre ses patients mais avec leur concours, travaillera à une interprétation des rêves. On viendra d’ailleurs en train de toute l’Europe le consulter.

À Montparnasse, aux TGV reçus des voies 1 à 10 et 17 à 24 [2] la gare, la SNCF ou RFF (car à qui appartiennent les butoirs je n’en sais rien) oppose, en rangs par deux, de simples et assez frêles poteaux de béton porteurs, côté voie, d’une pastille de peinture rouge suffisante pour signifier au machiniste à l’approche qu’au delà de cette limite gare à lui. La prouesse technologique des trains à grande vitesse et leur clientèle qui vient faire ses affaires dans la capitale atterrissent en douceur.

Rien à voir avec les butoirs en béton massif prolongés par deux embrochoirs d’acier en place des voies 11 à 16 réservées aux Transiliens nous transportant, souvent sur deux étages, et nous débarquant là, nous les banlieusards. Du costaud face à notre lourdeur de mal réveillés des cités-dortoirs, notre usure quotidienne d’usagers transbahutés, dans un sens le matin, dans l’autre sens le soir. Mais nos trains de tous les jours se présentent face aux butoirs eux-mêmes armés, tamponnés, prêts pour un combat à armes égales.

Enfin les mal aimées voies 26 à 28 reléguées en gare de Vaugirard et affectées aux Intercités de la ligne Paris-Granville disposent — paradoxalement pour cet édifice adventice relativement récent — des butoirs les plus rustiques, forme tréteaux, barre transversale signifiant ON NE PASSE PAS en bois peinte en rouge surmontée d’un phare. Butoirs cousins de ceux rencontrés au bout des voies ferrées qui n’iront pas plus loin perdues dans les campagnes, déplacés et rendus lumineux dans le paysage urbain du Montparnasse monde, comme pour rappeler aux voyageurs largués là d’où ils arrivent.

Des trois types de butoirs en usage, seuls les blockhaus béton à embrochoirs sont appréciés des pigeons. Leur surface lisse dépourvue de piquots les prédispose à servir d’aires de repos pour volatiles fatigués par la vie difficile qu’ils mènent dans cette grande gare parisienne. Repoussés de partout, bienvenus nulle part.


Texte écrit par Martine Sonnet en qui Urbain, trop urbain accueille l’auteure des livres aimés Atelier 62 et Montparnasse monde. Ce dernier vient ici en bel écho, magie des vases communicants et de leur principe — “le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.”— ; en vertu de quoi, hébergé chez Martine Sonnet, vient le texte de Matthieu Duperrex pour Urbain, trop urbain : 26 rue du Départ.

[1] Je sais pertinemment que mes photographies de butoirs laissent à désirer : impossible, sauf à risquer sa peau, de les saisir de face, pile dans l’axe des rails et de plain pied. Merci de votre compréhension.

[2] Outre les TGV, les voies 17 à 24 reçoivent également, quand il s’en présente, les TER de la région Centre qui bénéficient du même accueil.

Auparavant

Un max de fric — Relations urbaines #17

Ensuite

Le lendemain de la veille urbaine #31: le train

2 Commentaires

  1. PdB
    à

    j’adore cette architecture dévoilée en PTIBM…

  2. […] prestations liées à la mobilité. Martine Sonnet a écrit ici cette semaine un réjouissant petit inventaire des butoirs de la gare Montparnasse, dont l’existence somme toute récente est un témoignage isolé de […]

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