Micromegapolis : Le meilleur des ondes possible
Au point de rencontre entre la petite et la grande échelle, l’enquête Micromegapolis invite à prendre rendez-vous avec « Gaïa » – cette figure du présent, où la planète est soumise à l’activité humaine, elle-même dépositaire de l’avenir de la planète… Trois enquêteurs partent en éclaireurs à la recherche d’instruments scientifiques et techniques. Car il s’agit de mesurer l’incommensurable dépassement des humains par le cosmos, qu’on l’appelle globe, monde, environnement ou atmosphère… Ainsi parcourent-ils Toulouse, une ville qu’ils pensent d’abord ordinaire. Ils y découvrent finalement l’extraordinaire complexité des relations passionnées entre les humains et la Terre.
… surtout lorsque ces relations embarquent subrepticement des existants le plus souvent invisibles et impalpables auxquels les enquêteurs cherchent ici à se rendre sensibles…
[Extrait]
Ils inventèrent donc un nouveau jeu qui consistait, sur des images de la ville, à répandre de larges aplats de couleurs figurant les ondes, ou des imbroglios de fils distordus, ou encore des ectoplasmes grisâtres ou phosphorescents. Ils les faisaient le plus souvent seuls puis se montraient les uns aux autres leurs plans, cartes postales et photos coloriées. Toulouse prenait les atours d’une jungle du Douanier Rousseau sous ses fougères géantes, d’une carte bariolée de Pierre Alechinsky, ou bien se recouvrait de violettes comme un foulard de soie. Ils s’aperçurent qu’ils n’avaient pas été les seuls à emprunter la voie de l’imaginaire, ce qui les rassura sur la nature humaine, mais ne leur apprit à propos des ondes que ce qu’ils savaient déjà, à savoir qu’il était difficile de les représenter.
— Mais n’oublions pas que ces formes sans visibilité procèdent d’une infrastructure. S’il y a des ondes, c’est qu’il y a des antennes.
Cette évidence, déclarée un peu machinalement par l’un des enquêteurs, éclaira leur recherche d’un jour nouveau. Sous les ondes, il y avait tout un réseau technique qui s’escamotait.
— Comme à chaque fois avec les réseaux techniques, on dirait que leur but est de nous assurer de leurs facilités tout en se faisant oublier, constata l’enquêtrice.
— … sauf quand ils tombent en panne ou qu’on est en dehors de leur champ d’action !
L’enquêteur le plus connecté des trois connaissait bien la question. Il ne comptait plus les cas de recherche inquiète d’un réseau. Il préférait le plus souvent être traversé par des fréquences radio que ne l’être pas. Avoir du réseau ou n’en avoir pas : l’affiliation au monde ou la rupture de communication tenaient à la capacité du réseau à faire circuler des signes et des informations, le dispositif technique lui-même n’étant qu’un produit d’un enchaînement d’éléments hétérogènes.
Mais l’intérêt que provoquait le dispositif technique pour nombre d’acteurs indiquait assez son changement de statut, son rôle comme instance agissante et par conséquent comme objet de préoccupation. Ainsi qu’une sculpture de Tomás Saraceno, l’environnement technique des ondes s’était transformé en force mouvante, répercutant l’inflexion des usages et déroulant sa magie propre. Le réseau, entendu dans son sens technique, faisait ici tout un monde et c’était là ce qui pouvait émerveiller ou inquiéter : chaque bulle individuelle et solitaire devenait un sommet du réseau, se croyant seule capable d’énoncer « je » et d’articuler la syntaxe de ses relations. Elle embarquait une pluralité de mondes. Mon monde, mes relations, mon réseau social.
Le livre numérique Micromegapolis, à paraître le 28 septembre 2013, est le récit de l’enquête produite par le Festival La Novela et commanditée par Bruno Latour au collectif Urbain, trop urbain, pour l’occasion composé de Matthieu Duperrex, Claire Dutrait et François Dutrait (auteurs), Audrey Leconnetable (graphiste) et Gwen Catalá (designer numérique).
Quelques adresses :
– Le mini-site carnet de veille, régulièrement alimenté, qui regorge de liens utiles en consonance avec l’enquête : http://www.micromegapolis.fr
– Le compte Twitter de Micromegapolis : http://twitter.com/micromegapolis