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De l’impression d’une image de ville, Detroit

De l’impression d’une image de ville, Detroit

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La photogénie de l’abandon… C’est ce que je crois être venue chercher. C’est ce déjà-vu qui occupe l’horizon d’attente. Mais c’est justement cet imaginaire préfabriqué que la ville démantèle. Car Detroit, loin d’être au point mort, a déjà entamé sa mue. Une régénération de son organisme par l’entraide, le troc, le développement d’initiatives locales dont l’agriculture urbaine est un exemple qui fait école, ou encore, la débrouille entre ces habitants-résistants de plus en plus autonomes… Tout cela était évoqué dans le documentaire Detroit, ville sauvage de Florent Tillon, le premier que j’ai pu voir sur le sujet, à Montréal, fin 2010, et pourtant plutôt focalisé sur l’échec du modèle américain qu’incarnerait à elle seule la destinée de cette ville.

Detroit, un phénix qui renaîtrait de ses cendres ? Quelques jours sur place suffisent à rencontrer sa dualité et à prendre conscience de la cohabitation permanente, ici, de la vie et de la mort. Se crée une persistance dans le regard, que nourrit aussi le souvenir de certains échanges fugaces.

Une femme en voiture. Elle s’arrête à mon niveau, juste là, alors que je photographie une maison – une maison abandonnée, dois-je le préciser ? – cernée par les arbres, dans un quartier silencieux car déserté, à deux blocs à peine de celui du Heidelberg Project, quant à lui bien plus fréquenté, tout étant relatif. Elle est accompagnée de sa fille, côté passager. Elle baisse sa vitre. Where are you from? Ah. Elle connaît. Elle a fait un stage en France « quand elle était jeune ». Cela lui rappelle de bons souvenirs. Par devers moi, je devine que ce court échange avec elle participera aussi de mes « bons souvenirs ».

Voilà comment s’imprime dans notre mémoire et prend autrement figure que dans nos anticipations, même très informées par nos lectures, l’image mentale que l’on a d’une ville. Impression ? Retour au Heidelberg Project, justement, qui n’a rien à voir avec la ville universitaire allemande ou avec les célèbres presses offset, mais fait écho au nom de la rue où il est né. Loin d’être anecdotique puisque mondialement connu et reconnu, ce projet a été initié par Tyree Guyton et son grand-père en 1986. En perpétuelle évolution – régulièrement malmené par des incendies plus ou moins criminels –, il fait partie des agréables surprises que réserve Detroit quand on s’éloigne de l’hyper-centre. Protestation politique autant que projet éducatif, le Heidelberg Project s’est donné pour mission de créer du liant, de la vie, de la joie, de l’espoir dans un quartier alors malfamé et oublié par la municipalité. Son moto ? Changing lives through art since 1986. Guyton a ainsi collecté toutes sortes d’objets abandonnés par les habitants pour les transformer en œuvres protéiformes, directement fixées aux maisons, elles-mêmes abandonnées ou échouées, aux arbres, ou posées dans les jardins telles des installations contemporaines… Les maisons – aux noms jamais anodins : the baby doll house, happy feet, obstruction of justice… – sont elles-mêmes recouvertes de ronds de couleurs de tailles différentes – les fameux dots –, qu’on trouve aussi peints sur les trottoirs du quartier. Un marquage de territoire plutôt joueur et accueillant. L’ensemble est un mélange de street-art et d’art brut assez foutraque, parfois glauque (ce baigneur crucifié par exemple) parfois cocasse (une maison couverte de nounours lessivés, une autre de faux sous et billets, une dernière de vinyles) qui détonne suffisamment pour attirer et intriguer les curieux. Les horloges – fausses peintes ou vraies en panne – sont un élément récurrent de ces quelques pâtés de maisons bariolés et le témoin de l’aliénation que le temps génère à tous les niveaux, aliénation en partie responsable de la chute de la ville aux yeux du créateur, un Facteur Cheval contemporain, qui aimerait que Detroit nous laisse l’empreinte d’une autre image.

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Lou Camino est photographe, auteur et créatrice du projet Objectif3280, une utopie photographique collective. Visiter son site Internet. Découvrir l’intégralité de son carnet de route sur Detroit :

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