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Le lendemain de la veille urbaine #32: l’urbanisme unitaire

Le lendemain de la veille urbaine #32: l’urbanisme unitaire

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Le lundi matin à heure fixe, Urbain, trop urbain donne sous forme de chronique un petit résumé des meilleurs liens glanés sur Internet lors de la semaine écoulée. Le fonctionnement est simple : le taux de consultation des URL diffusées sur notre compte Twitter fait le partage statistique, charge au rédacteur de trouver un fil rouge dans les liens ainsi sélectionnés par cet arbitraire de l’audience…


L’urbanisme n’existe pas : ce n’est qu’une « idéologie », au sens de Marx.

L’architecture existe réellement, comme le coca-cola : c’est une production

enrobée d’idéologie mais réelle, satisfaisant faussement un besoin faussé.

Tandis que l’urbanisme est comparable à l’étalage publicitaire autour du

coca-cola, pure idéologie spectaculaire. Le capitalisme moderne, qui organise

la réduction de toute la vie sociale en spectacle, est incapable de donner un

autre spectacle que celui de notre propre aliénation. Son rêve d’urbanisme est

son chef-d’œuvre. [1]

Le site OWNI publie aujourd’hui une chronique où j’évoque les technologies mobiles et leur rapport à la dérive situationniste. L’occasion d’ouvrir ici une parenthèse urbaine. Le situationnisme luttait contre la tendance « policière » de l’urbanisme, Guy Debord expliquant (Potlatch N°5, 20 juillet 1954) que « si l’Urbanisme moderne n’a encore jamais été un art — et d’autant moins un cadre de vie —, il a par contre été toujours inspiré par les directives de la Police. » Dans La société du spectacle, Debord écrit (article 171) que « si toutes les forces techniques de l’économie capitaliste doivent être comprises comme opérant des séparations, dans le cas de l’urbanisme on a affaire à l’équipement de leur base générale, au traitement du sol qui convient à leur déploiement ; à la technique même de la séparation. » Souhaitant « provoquer la crise » du système de production de l’espace urbain qu’elle interroge, la psychogéographie situationniste se voudra opératoire comme méthode de construction d’ambiances, à rebours de cette séparation et cette fixité dénoncées. Elle repose notamment sur la notion de dérive, qui est selon Guy Debord (théorie de la dérive, 1954) « une technique du déplacement sans but. Elle se fonde sur l’influence du décor. »

Comme le souligne Marc Tuters, certaines des expérimentations situationnistes se retrouvent dans l’esprit de l’architecture utopique des années 1960. Il y a par exemple l’atelier italien Superstudio, avec Massimo Banzi déclarant « le droit inaliénable que tout individu a de créer son propre environnement ». Le Continuous monument de Superstudio ou la New Babylon de Constant [2] sont des mégastructures pour les habitants nomades d’une utopie technologique nue.

La non-géométrie ouverte, non fonctionnaliste, et si possible impermanente d’une architecture opposée aux systèmes plastiques fermés s’est développée dans les utopies des années 1960-1970. Le compas et l’équerre laissent place à l’imaginaire topologique. Le critique Reyner Banham a apporté son soutien à ce mouvement qui va du brutalisme anglais au projet de Fun Palace par Cedric Price (1961). Dans son essai sur le New Brutalism, Banham salue une architecture autre, qui « exige que le bâtiment soit une entité immédiatement saisissable visuellement, et que la forme saisie par l’œil soit confirmée par l’expérience de la construction en cours d’utilisation. » Pas tant une « architecture autre » que « vers une architecture ». C’est le droit d’improvisation qui passe avant tout. En cohérence avec cet intérêt pour le mouvement, la méthode d’exploration et de « lecture » du Los Angeles suburbain et chaotique  — la « conurbation des œufs brouillés » selon son expression — adoptée plus tard par Banham suite à son travail sur les néo brutalistes britanniques adoptera explicitement la dérive situationniste.

Shadrach Woods, de l’équipe Candilis, définit à la même époque les concepts architecturaux de stem et de web pour répondre à un univers à quatre dimensions, qui intègre le temps : le changement et la transformation, la communauté, la participation, le mouvement et la vitalité exigent une nouvelle architecture. Celle-ci est plug-in chez Archigram (plug-in city par Peter Cook en 1964), clip-on selon Reyner Banham. La réfutation du fonctionnel et du figé qu’on peut voir dans d’autres utopies parallèles accouche ici de projets d’architectures mobiles tels que la ville spatiale de Yona Friedman reprenant le plan libre corbuséen à l’échelle urbaine.

Bien sûr, peu de réalisations dans ce sillage, voire pas du tout. Là où le Fun Palace devait être construit, il y a actuellement un chantier… pour les JO 2012. La ville événementielle a gagné. De Cedric Price, il y a eu le tout petit modèle de l’InterAction Centre. Même si le délire sur les mégastructures se poursuit ici et , les utopies anticapitalistes en architecture ont été digérées en termitières pour cité financière, en cathédrales résidentielles et cellules de captation du travailleur en flux. De quoi avoir le spleen.

La semaine dernière, parmi les beaux liens urbains, il y avait aussi…

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[1] Attila Kotányi et Raoul Vaneigem, « Programme élémentaire du Bureau d’urbanisme unitaire », Internationale Situationniste, N°6, août 1961.

[2] Télécharger une présentation détaillée de la New Babylon de Constant.

Auparavant

À vous de jouer — Relations urbaines #19

Ensuite

Par où passe la révolution — Relations urbaines #20

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