Accueil»Écritures»LECTURE URBAINE»
L’espace de contact existe encore (plus pour longtemps)

L’espace de contact existe encore (plus pour longtemps)

0
Partages

Inscription foncière d’un lilong à Shanghai

Le lilong est aujourd’hui au cœur du conflit urbanistique entre l’héritage des anciennes structures et les programmes de développement à grande échelle. Car, monde à l’envers, dans une ville aux quelque 5000 gratte-ciel, ce sont à ces bâtiments, souvent de deux étages, qu’on reprocherait presque de rompre l’épannelage de l’horizon. Pourtant, habitat intermédiaire à forte densité, valorisant l’espace de relation et la cohésion sociale (en même temps que le contrôle social) dans une savante hiérarchisation du public et de la sphère privée, le lilong a beaucoup à nous apprendre en termes de fabrique de l’espace urbain.

Li-long est la conjonction des mots «voisinage» et «ruelle». Dans la culture chinoise, il faut cinq familles pour établir un voisinage et cinq mitoyennetés de voisinage forment un «li». Les lilongs appartiennent quasi exclusivement à la culture urbaine de Shanghai et aux villes du Yangzi. Ils sont représentatifs d’un système répondant efficacement à la croissance de la ville et au besoin en logements des années 1850 jusqu’à 1949. D’abord construits en brique, les plus récents font appel aussi au béton, en technique mixte.

Le principe de la courée

Si de la rue, on ne distingue qu’une continuité de façades alignées, de petites entrées enserrées mènent à un microcosme social insoupçonné, en retrait des turbulences du trafic automobile. Ces voies internes hiérarchisées structurent un habitat sur courée. Historiquement, la courée puise son modèle dans l’architecture traditionnelle du shikumen (la porte) : un porche donnant sur une première cour, la maison, puis la deuxième cour.

Chaque unité d’habitation occupe une étroite lanière de bâti donnant sur une courée. Dans certains modèles de lilong, la courée est un espace jardiné. Dans l’espace mutualisé, sûr et fortement humanisé du lilong, les activités les plus diverses se déroulent au niveau de la rue, des activités à caractère commercial (ateliers, réparation, vente en tout genre) jusqu’aux activités relevant de l’économie domestique, telles que la cuisine et le lavage du linge. Mais une hiérarchie subsiste. Les unités d’habitation sont desservies par des voies de communication internes aux blocs, tandis que les activités de commerce sont tournées vers l’extérieur, et desservies avant tout par la rue publique. Les ruelles du lilong forment un espace semi-public de dialogue et d’entraide. Dans la ville socialiste, il y avait même des «comités de résidents» qui étaient administrativement responsables des courées.

De sorte que ce qui est caractéristique du Lilong, c’est l’espace de relation. On pense même à «l’espace de contact» théorisé par Françoise Choay comme étant spécifique aux villes du Moyen âge occidental. Il ne s’agit pas d’un espace de circulation performant. Bien au contraire, l’espace de contact est orienté vers l’intérieur des structures bâties, les significations dont le sol est porteur y relèvent d’une codification partagée mais non transmise. Il valorise l’information communiquée de proche en proche et sollicite, anthropologiquement, tous les sens.

Requalification

Les lilong de Shanghai disparaissent pour la plupart, sont rénovés pour certains. On entame, souvent, leur cohésion foncière pour ne dégager que deux allées, qui gagnent dès lors en «publicité». Ces lilongs requalifiés laissent une impression étrange et le vocabulaire urbanistique n’a jamais été aussi juste: l’espace est bien «requalifié», l’espace de contact s’est totalement effacé. Seul subsiste de lui quelques signes, tels les lavabos sur rue, mais qui à présent relèvent plutôt du pastiche.

Rénovation d’un lilong: on soigne le décor de cinéma.
Auparavant

Faute de sens, les cinq sens

Ensuite

La fadeur, le neutre, le milieu

4 Commentaires

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: L’espace de contact existe encore (plus pour longtemps) — article Urbain, trop urbain http://ow.ly/1yWGd […]

  2. Acculk-online
    à

    Merci pour cette information interessante

  3. […] on a peine à mesurer la destruction irrémédiable des hutongs de Pékin. À Shanghai aussi, les Lilongs disparaissent. Mais parce qu’ils constituent tout de même un attrait touristique, y compris pour […]

  4. […] de la ville en guerre L’espace de contact existe encore (plus pour longtemps) « Urbain Inscription foncière d'un lilong à Shanghai En écho à l'émission de ce mercredi 19 janvier […]

Commenter cet article

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>