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« Ma Compagnie »

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Voyant tout un contingent de femmes de l’Armée rouge courir et s’époumoner autour du parc de l’Exposition universelle de Shanghai, je songeai qu’en dépit du peu d’enseignement que me délivrait ce mouvement de troupe sur le corps chinois et sa discipline millénaire — et mis à part le fait que les guerres d’acier du vingtième siècle s’étaient employées, quand on y songe, à ruiner une âme et une sensitivité, celle de l’homme de la ville —, les progrès du corps-automate, dont rêvent les instructeurs militaires depuis l’origine des conflits armés, demeureraient heureusement bien négligeables, tant que la terre s’accrocherait à nos semelles, que la matière du monde exsuderait de nos pores, et que le Réel, que de trop nombreux myopes idiosyncrasiques croient désigner par le terme «d’environnement», frapperait nos sens, serait mâché par notre bouche et inhalé comme une épice de liberté, de sorte que, aussi paradoxal que cela puisse sonner à nos tempes, ce que nous avons, semble-t-il, le plus à craindre aujourd’hui n’est rien d’autre que l’abolition du sens militaire et la dématérialisation des corps armés…

3 mars 1896.

MON CHER GÉNÉRAL,

La Revue d’infanterie a publié dernièrement deux articles intitulés «Ma Compagnie», par J. G. M. R. Ces deux articles m’ont paru très intéressants, marqués au coin du bon sens et remplis de gaieté originale. Ils ont surtout arrêté mon attention parce qu’ils s’appuyaient sur des vérités que je ne cesse de répéter:

L’infanterie s’ennuie, amusons-la.

L’infanterie sommeille, réveillons-la.

Les méthodes d’application des règlements et d’instruction sont surannées et monotones, améliorons-les et vivifions-les.

L’action de l’infanterie est liée intimement au terrain: mettons toujours le fantassin en contact avec les accidents du sol.

L’infanterie est la reine des batailles, parce que son élément essentiel, l’homme, est le plus vivace, le plus subtil, le plus intelligent, le plus enragé des batailleurs, employons donc notre temps à préparer cet être de combat à la seule fin de la guerre.

La guerre se fait dans les champs, sortons des villes. La santé est aux marcheurs en plein vent, allons donc courir la campagne, l’hygiène l’ordonne. La plupart des soldats sont des paysans et leur visage s’épanouit dès qu’ils dépassent l’octroi et revoient les bois et les plaines. Tous, quelle que soit leur origine, s’étiolent, à 20 ans, dans les casernes, s’enrhument dans les cours humides et s’abrutissent sur la place d’exercices. Déroulons l’espace devant eux, tant pis pour les myopes, et emplissons d’air pur leurs jeunes poumons.

Aussitôt que les gens des villes ont un moment de liberté, c’est pour s’envoler au-dehors de leurs amas de pierres. L’infanterie peut et doit se donner ce bonheur tous les jours où le temps ne le défend pas, et il est prodigieux qu’elle ait pris l’habitude de s’atrophier sur place et de s’aligner ou de faire du maniement d’armes pendant des heures entières devant les badauds.

Or, il y a, parmi nos officiers, une masse de personnalités vibrantes, avides de mouvement et d’initiative. J’ai pensé que la critique spirituelle et humoristique de J. G. M. R. leur plairait à lire et à méditer. J’ai demandé à l’éditeur Henri Charles-Lavauzelle de réunir les deux articles en une brochure.

J’ai l’honneur de vous en adresser une dizaine en vous priant de répartir ces exemplaires entre vos généraux et vos chefs de corps.

Il est bien entendu que cet opuscule n’est pas un nouveau règlement; c’est un simple incident dans le cours de l’instruction pour éveiller et pour discuter certaines idées et pour rechercher le progrès des méthodes sans modifier les règlements eux-mêmes.

Général de Poilloüe de Saint-Mars


Lettre authentique tirée des «Circulaires et ordres» du Général de Poilloüe de Saint-Mars, exhumées et éditées en 2002 aux merveilleuses et indispensables éditions de l’URDLA.

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Des villages dans les cintres

Ensuite

L’expérience univoque du Grand parc

1 Commentaire

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par aleph187b, URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: La géopoétique du Général de Poilloüe de Saint-Mars http://ow.ly/2sZjD < une fantaisie militaire d'Urbain, trop urbain […]

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