Le 50 feet Fly’s Eye Dome de Richard Buckminster Fuller
C’est un privilège rare de pouvoir admirer de près ce prototype original de quinze mètres de diamètre que vient de faire restaurer le collectionneur Robert Rubin, lequel possède aussi la Maison de Verre de Pierre Chareau et Bernard Bijvoet. Le dôme présenté ici, en plein secteur sauvegardé à Toulouse, est le plus grand des deux imaginés par l’ingénieur avant-gardiste Richard Buckminster Fuller.
Tardifs dans la carrière de ce prolifique inventeur, ils ont notamment été précédés par la Maison Dymaxion, construction en aluminium, que l’on peut voir aujourd’hui au Ford Museum de Dearborn, et aussi par ce rêve de papier que fut la 4D Tower House, un projet d’immeuble de dix étages transportable par le Graf Zeppelin : « conçue sur le modèle de l’aéroplane, les éléments en compression et les éléments en tension y sont dissociés — la tension est continue et la compression est discontinue, des îlots de matière en compression flottent dans un réseau de matière en tension. »
Les dômes furent la forme architecturale privilégiée du grand Bucky, chez qui Norman Foster a fait ses classes. L’Union Tank Car Roundhouse de Baton Rouge mesurait 117 mètres de diamètre et 35 mètres de haut… Cet édifice géodésique était, en 1958, la structure autoportante la plus grande du monde. Avec le 50 feet Fly’s Eye Dome, il s’agit plus modestement d’un projet industrialisable pour une maison d’habitation. Le principe de l’œil de mouche donne la prééminence aux lentilles produites par l’assemblage des éléments constructifs, tous identiques et moulés en atelier. Ces ouvertures cylindriques donnent à l’ensemble une remarquable rigidité alors que la surface en fibre de verre est percée aux trois quarts par les ouvertures. Et Buckminster Fuller ne cantonnait pas ces dernières au seul apport de lumière : véritables « pores » d’un organisme, elles servent de sas, de portes, de fenêtres, de panneaux solaires, de bouches d’aération…
Pardessus tout, le dôme géodésique est chez Buckminster Fuller davantage qu’un exercice d’ingénierie de haute voltige, il est un mode de vie, une expression élégante de la soif d’indépendance et de liberté de son créateur. Structure autoporteuse, économie de matériaux (“doing more with less”), solidité, simplicité d’assemblage, résilience… Le dôme est la quintessence-même de l’abri (Shelter a été le nom que Buckminster Fuller a donné au magazine qu’il a fondé en 1930). En fibre de carbone avec une structure homogène, chaque pièce est jointe à ses voisines en trois points avec quelques tiges filetées et écrous. La notion de façade disparaît, la peau et les os ne deviennent plus qu’un. Il faut d’ailleurs rappeler ici un article de Reyner Banham, « A Home Is Not A House », publié initialement en 1965 dans la revue Art in America. Banham est l’un des plus grands critiques de l’architecture et de l’urbanisme du XXe siècle. Dans ce texte, il constate que l’habitat contemporain est devenu un complexe de réseaux, tuyaux, flux, imputs et outputs, signaux Hi-Fi, convecteurs, interrupteurs, broyeurs de déchets, antennes, mobiliers électroménagers, services domestiques, etc.
Longtemps, les architectes ont considéré tout cela de façon pudibonde, remisant les entrailles ou ne les laissant apparentes et grossièrement peinturlurées que dans le fatras d’un cellier. Aucun des grands slogans architecturaux — Form Follows Function, accusez la structure, Firmitas, Utilitas et Venustas, Truth to Materials, Weniger ist Mehr — n’était à même de relever le grand défi de la mécanisation domestique. Ou alors, en négatif peut-être, avec le mot d’humour prêté à Le Corbusier : « Pour Ledoux, c’était facile — pas de tubes ». La propension de l’American way of life à dépenser toujours plus en services qu’en structure devrait conduire, selon toute apparence, à la disparition plus ou moins évidente des formes solides et contraintes de la maison.
Sans doute les progrès du packaging de l’habitat prônés par Buckminster Fuller dans les années 1960 seront-ils de nature à nous faire oublier la boîte architecturale « maison », poursuit Banham : la maison comme monument architecturé a-t-elle encore un avenir? L’avant-gardisme de Bucky est pourtant resté lettre morte, nous le mesurons aujourd’hui où construire une yourte ou un Zome et autres « architectures libres » expose encore aux tracasseries les plus invraisemblables. Écologiste avant l’heure, détestant le crédit et les banquiers, prônant l’autosuffisance, il avait aussi un fabuleux sens de l’humour. Voici pour finir une chanson qu’il a écrite pour célébrer sa vision de la machine à habiter :
En route pour un dôme domestique
Il était une fois un pavillon, romantique et carré
Dans la tradition de Mc Kim, Meade, et White.
La mode changea, il prit l’air dépouillé
d’une usine à la Mies, Gropius, Le Corbusier et Wright.
En route pour un dôme domestique
Qui remplacera nos maisons arts déco.
Ce qui retient nos blondes, ce sont des liens chimiques.
Même un tuyau, c’est beau !
Laissons les architectes chanter une esthétique
qui mettra à leurs pieds mille clients fortunés
Je ne veux qu’un dôme domestique
vaste et rond, où me détendre en paix.
En route pour un dôme domestique
Sur une colline perché
Zéro pour cette ânerie : le style éclectique!
Dans le dôme pas de corvées.
Laissons les modernes rêver d’étuves de verre
Le long d’autoroutes urbaines salies
À bas les prêts, les promoteurs
Refusons les dettes à vie.
En route pour un dôme domestique
Rien à demander aux banquiers
Dans une maison, on rêve : adieu traites et hypothèques
Rien que du temps à dépenser.
Citations tirées de Buckminster Fuller, Scénario pour une autobiographie, textes collectés par Robert Snyder, Éditions Images Modernes, 2004.
> Pour quelques autres liens sur Buckminster Fuller…
> On peut actuellement voir le 50 feet Fly’s Eye Dome de Richard Buckminster Fuller au Festival international d’art de Toulouse et il reviendra l’année prochaine.
> Toutes images Urbain, trop urbain sauf la dernière, avec la Garonne en crue, par Jean-Yves Bonzon.
Pas encore de commentaire