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Mensonge de la ville

Mensonge de la ville

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«Metropolis» ou la ville expressionniste. La Città e «La Menzogna»[1]

Dans «La Menzogna», Pippo Delbono s’inspire de «Metropolis» de Fritz Lang: décor, costumes, dévoilement de ce qui fait le cœur et la structure de la Ville: l’Industrie.

Autre point commun: l’usine comme lieu de broyage des corps. Dans «Metropolis», les corps s’exténuent au travail, dans «La Menzogna», les corps sortis de la ville quittent leurs costumes «de ville» pour s’enfermer dans des combinaisons d’usine où certains seront broyés, brûlés, électrocutés. Ça, c’est pour le monde d’en bas, celui du travail; et le monde d’en haut? Des corps corsetés, encuirés… ou nus, mais pour se vendre.

Mensonge d’en bas: gagner sa vie en perdant son temps, ses forces, sa vie.

Mensonge d’en haut: le sexe se vend bien, spectacle et spasme sans amour.

La musique de Stravinsky –«Le sacre du printemps»– dans la mise en scène de Pippo Delbono désarticule les corps, les rend épileptiques ; le sacrifice ne sert pas une nouvelle naissance : l’industrie, la ville structurée par elle, c’est le sacrifice de la vie. Dans la ville d’en haut, ce sont les tangos lascifs qui tuent l’amour sous la morbidité des «damnés» (Visconti).

Parler de mensonge, c’est déjà le dévoiler comme tel, mais où est le mensonge? Où la vérité? La femme de Fritz Lang, Thea von Harbou, sympathisante des forces montantes du national-socialisme, pensait que cette révélation du parallélisme et de la coexistence entre ville haute et ville basse devait déboucher sur une conciliation (nationale et socialiste); mais, l’autre voie, la lutte des classes a-t-elle encore un sens?

Ce que donne à voir et à entendre Pippo Delbono, c’est un véritable cri, une envie de tout casser; l’auteur, acteur, metteur en scène dit lui-même un texte mettant au jour ce qui se passe dans l’esprit et dans le cœur d’un corps en cours de broyage et d’épileptisation: il restitue la matrice du discours fasciste.

Berlin, Milan, Turin, Naples: villes industrielles (ville haute et ville basse de «Metropolis»), villes aux économies parallèles: comment déjouer le mensonge?

Dénoncer le mensonge initial, celui de la mère captatrice et du père que l’on ne peut pas pleurer?

Retrouver la nudité des corps, et aussi des témoins «sauvés» du broyage: danse et présence nue d’un trisomique,  un «mendiant de Naples» ou un ancien interné d’un hôpital psychiatrique… «Remis des vieilles fanfares d’héroïsme – qui nous attaquent encore le cœur et la tête – loin des anciens assassins».[2]

Une métropole sans mensonge est-elle possible?


 

[1] Pippo Delbono, «La Menzogna»: pièce de théâtre créée au Teatro Stabile di Torino, octobre 2008, présentée à Avignon en juillet 2009, jouée à Toulouse en mai 2010.

C’était les premiers jours de l’été quand je suis entré dans l’usine brûlée de Turin. Avec, en mémoire, ces images, ces pleurs. Pleurs pour les mères, pour les pères, les frères, les enfants de ces morts. Puis, comme d’habitude, cette nouvelle de l’incendie a été effacée rapidement par d’autres nouvelles. Yeux rouges, paroles, discours, protestations, cris, puis le silence. «Le Mensonge», c’est le nom du spectacle. C’est pourquoi, en ce jour de début d’été, je me promenais en silence dans ce lieu brûlé : Thyssen Krupp. Avec moi, d’autres personnes, que je ne connaissais pas… Étranges rencontres pour une visite dans un lieu de mort.
Soudainement, dès que j’ai senti l’odeur du fer brûlé, il m’est venu un souvenir de quand j’étais petit : mon grand-père m’emmenait chaque fois dans l’usine où il travaillait le fer. Je sentais la même odeur. Toute sa vie, mon grand-père avait travaillé dans cette petite fonderie et en était fier. Et quand il était vieux et malade dans sa tête, il se levait la nuit, pour aller à la fonderie.
«Ici, ils nous ont bien traités et ce qui est arrivé n’est que la fatalité», me disait une femme qui avait travaillé chez Thyssen Krupp pendant trente-cinq ans. En défendant cette usine, elle défendait sa vie entière. Je me promenais là. Claustrophobie, lumière triste, attendant d’arriver finalement au «fameux» endroit, détruit, brûlé. En attendant, je regardais ces espaces destinés au repos. Tristes, morts. Les douches que l’on utilisait pour se laver dans le cas d’une fuite d’acide étaient vieilles, rouillées. Le téléphone et les ordinateurs qui devaient servir à alerter en cas de danger – chose très fréquente quand on traite l’acier – étaient vieux et désormais désuets. «Eh, les usines sont comme ça!», me disait l’ouvrier qui nous accompagnait, en réponse à mes observations. «Vous les artistes, vous ne savez pas comment sont les usines.»
Finalement, quand nous sommes parvenus à cet endroit entièrement brûlé, je ne ressentais plus rien. Je voulais sortir au plus vite, voir la lumière du crépuscule en ce jour d’été. De l’air, je demandais de l’air.
À Londres, alors que je me promenais entre les gratte-ciel, les bureaux de verre, je voyais souvent «Thyssen Krupp». Une marque incisée sur l’acier des «colosses» de la City. Et je songeais à ces autres lieux sombres, où travaillent encore tant de personnes, pour exister et faire exister ces empires.
Puis, je suis arrivé au musée où étaient exposées quelques œuvres de Francis Bacon. Je me suis assis devant une de ses peintures, inspirée des «Tournesols» de Van Gogh. Mais ici, les tournesols pleins de lumière, de vie, de couleur, étaient agressés par un rouge enflammé, désespéré. Alors, me souvenant de ce lieu brûlé que j’avais vu, ou bien de mon grand-père désormais mort, depuis tant d’années, ou bien du temps où j’étais petit, un moment perdu, je ne sais pas, je me suis mis à pleurer, pour la première fois devant une peinture.

PIPPO DELBONO

[2] Rimbaud, Barbare, dans « Illuminations ».

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1 Commentaire

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par aleph187b. aleph187b a dit: Pippo Delbono, La Menzogna http://ow.ly/1MP9L #theatre […]

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