Accueil»Écritures»LANGUE URBAINE»
La vieille en son paysage ordinaire

La vieille en son paysage ordinaire

0
Partages

Il était une fois dans les lointains confins, c’était à la croisée des chemins, une vieille qui avait toujours habité là. Son paysage était fait d’ordinaire et d’une maison qui laisse passer le vent.

Un jour qu’elle cueillait un bouquet de matricaires, elle entendit un vacarme si fort, si fort, si fort qu’elle lâcha les fleurs à ses pieds et porta les mains à ses hanches. Un pneu avait passé la glissière et se trouvait, là, désolidarisé du véhicule qui l’avait éjecté. Longtemps après les sirènes, la vieille rassembla son bouquet, et dans un geste ancestral, en déposa sur le pneu l’une des fleurs. Elle entendit aussitôt une voix qui lui souffla : « Je te remercie La Vieille, mais porte-moi maintenant au grand virage ».

La vieille alors fit rouler le pneu parmi les sèneçons et les passerages draves, prenant soin d’éviter les chardons à capitules et les débris de véhicule. Au grand virage elle le déposa au pied d’un lampadaire. Aussitôt dans la vibration de la lumière, à ses oreilles une voix scintilla : « Merci de ton présent La Vieille, mais porte ma lumière maintenant au bord de ces voies ».

La vieille inspira, inspira, inspira les particules de lumière qui dansaient sous le grand lampadaire. Elle reprit sa marche parmi les silènes et les boutons d’or. Au premier lampadaire elle chanta sa chanson de lumière et le lampadaire scintilla. Au deuxième lampadaire elle chanta sa chanson de lumière, le lampadaire scintilla, puis un véhicule ronronna. Dès le troisième lampadaire les grillons se joignirent à sa chanson et le bourdon des véhicules l’accompagnait déjà. Lorsque tous se joignirent, tous scintillèrent et tous bourdonnèrent, le grand frisson du soleil secoua l’air du matin.

La Vieille, qui avait fait le tour du jour et de la nuit, se retrouva chez elle. Elle entra dans sa maison qui laisse passer le vent et se coucha dans l’ordinaire de son paysage. Jusqu’au prochain accident.

Frédéric Malenfer, Périphérique de Toulouse, janvier 2014
Frédéric Malenfer, Périphérique de Toulouse, janvier 2014
Auparavant

Vendredi saint

Ensuite

Devenirs d’une zone blanche

1 Commentaire

  1. […] Un pneu avait passé la glissière et se trouvait, là, désolidarisé du véhicule qui l’avait éjecté. Longtemps après les sirènes, la vieille rassembla son bouquet, et dans un geste ancestral, en déposa sur le pneu l’une des fleurs.  […]