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Le mirage Dubaï — une ville dans la ville

Le mirage Dubaï — une ville dans la ville

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À l’heure où le gigantisme et l’originalité sont des signes extérieurs de richesse et de puissance pour les métropoles, Dubaï fait figure d’icône de la démesure. Au-delà de la Burj Khalifah et des iles artificielles comme The Palm et The World, ses shopping malls constituent le cœur d’une redéfinition de la ville comme parc d’attraction spectaculaire marchand.

L’arrivée par avion donne un premier aperçu de la démesure de Dubaï. Il ne faut pas moins de 45 minutes de survol au-dessus des maisons, des échangeurs d’autoroutes et des tours avant de pouvoir atterrir. Une fois à terre, l’aéroport dévoile tout son gigantisme avec un espace Duty Free à perte de vue. Avec 24, 6 millions de passagers en 2011 (selon l’aéroport de Dubaï), il est en constant travaux d’agrandissement et un nouvel aéroport est même en construction à l’autre extrémité. Les premiers déplacements en voiture sont tout aussi troublants puisque des autoroutes à perte de vue façonnent le paysage. Inutile de chercher des personnes en train de flâner sur les trottoirs, ils sont déserts. La pollution ? Le bruit ? La température ? La non-pratique de la marche à pied ? Sans doute un peu de chaque pour expliquer qu’à Dubaï tout le monde se déplace en voiture. Certes, le vieux Dubaï permet de marcher un peu et de rencontrer d’autres personnes, les habitants souvent immigrés ou des touristes. Certes, les aménagements des transports en commun comme le métro sont en cours mais les premières impressions laissent à penser que la vie ne se passe pas « dehors ». Le premier indice se découvre justement sur les autoroutes où les panneaux publicitaires encombrent le paysage et hypnotisent le regard d’objets de consommation divers et variés : vêtements, voitures, bijoux, maquillage ou parfumerie. Ils font surtout l’apologie des centres commerciaux ouverts ou en cours de construction. Rapidement, on se rend compte qu’à côté des gratte-ciel de bureaux et de logements se trouve un autre type de bâtiment, le shopping mall.

Le shopping mall : une création américaine qui aujourd’hui s’exporte mondialement et a trouvé dans toutes les métropoles de ce siècle naissant une voie d’expression renouvelée. Car, si en Europe l’idée du shopping mall demeure en conflit avec les rues et artères commerçantes, des villes nouvelles comme Dubaï ont vite intégré ce type d’espace. À un point tellement exacerbé qu’il y semble impossible de répertorier le nombre exact de ces shopping malls. Pourquoi ? D’abord, parce qu’avec des températures souvent au-dessus des 35 degrés, le shopping mall est un espace climatisé — proche des 17 degrés — où l’on peut se dérober à la chaleur étouffante de l’air extérieur. Ensuite, les publicités nous en avaient donné un bref aperçu, il se trouve que l’Emirati — l’homme comme la femme — est parfaitement à l’aise avec le shopping comme activité sociale et familiale à part entière. Un nombre incalculable de boutiques placées les unes à côté des autres sont dévolues à cette activité. Dubaï réalise le rêve de tout accro au shopping : une méga-concentration de boutiques diverses couplée à une optimisation de la mobilité ; il ne faut que trois pas pour passer d’une boutique à une autre. Mais ici les marques accessibles à toutes les bourses comme Zara, H&M, Naf Naf ou Virgin se font plutôt rares. Ce sont Armani, Vuitton, Prada, Lacoste, Gucci, Bulgari, Ralph Lauren, Yves Saint Laurent, Christian Dior et autres qui mènent la danse. Alors même que l’on se trouve à des milliers de kilomètres de la France, ce ne sont pas les milliers de boutiques qui vont nous dépayser. Il est possible de manger un sandwich chez Paul, se faire couper les cheveux chez Franck Provost ou bien de prendre son café favori au Starbuck Coffee.

Au-delà du shopping, c’est toute une liste d’activités qui s’offre à nous. Au point que toute une journée dans un Mall n’est pas de trop pour bien en explorer tous les attraits. Des étages entiers sont par exemple dédiés à la restauration ; non pas une restauration traditionnelle mais mondiale : Mexicain, Italien, Espagnol, Américain ou Asiatique, tout est possible et à un moindre coût. Toute une partie du Mall est par ailleurs souvent consacrée à l’entertainment. En dépit de fortes traditions, on découvre que la population aime particulièrement se divertir : espaces de jeux vidéo, manèges, patinoires… Cette idée de consommation et de vente de produits occidentaux — nous y incluons l’art de se divertir — n’est pas incompatible avec la culture des Émirats. Bien au contraire, la population joue et alterne sans problème apparent entre achats compulsifs telle Carrie Bradshaw dans Sex and The City et respect des traditions. Cinq fois par jour, l’appel à la prière retentit dans les shopping malls invitant la population à se rendre dans une des nombreuses salles de prière présentes à chaque étage. Chacun laisse alors ses sacs et sa carte bancaire le temps de la prière puis reprend logiquement sa frénésie de shopping.

Tout cela pose la question d’une ville dans la ville, car le shopping mall offre à la population un cadre de vie et d’activités diversifiées dans des conditions optimales alors même que celles de l’extérieur sont difficilement supportables. D’ailleurs, bien souvent, on recroise plusieurs fois les mêmes personnes au cours de la journée. S’ils ne sont pas chez eux, à la Mosquée ou dans leurs voitures, il semble que le shopping mall est le « lieu commun » de leurs pratiques quotidiennes. Le shopping mall, on le devine, devient ainsi un lieu de socialisation à la fois entre les Dubaïotes mais aussi entre eux et les touristes. Ici, se mélangent les traditions, les cultures, les valeurs occidentales et orientales dans un vaste melting pot. Tout semble fonctionner même si quelques rappels sont prudemment indiqués à l’attention des étrangers.

On découvre rapidement qu’il y a des shopping malls pour tous les goûts et toutes les bourses. Ainsi, si vous êtes passionné d’Égypte Ancienne et que vous n’avez pas eu la chance encore d’aller au Caire voir les pyramides, le Wafi Mall, à proximité de l’aéroport, vous plonge dans une ambiance totalement égyptienne, avec son entrée digne d’un décor de cinéma. Là, vous pouvez faire vos achats, manger ou juste flâner, mais sous les yeux d’Isis et Osiris.

Ailleurs, le Dubaï Mall constitue la porte d’entrée pour la visite de la Burj Khalifah. Là, le décor est plus occidental mais les attractions illustrent la démesure du lieu : montée de la plus haute tour du monde, aquarium géant, patinoire…

Le plus connu des Occidentaux reste sans doute l’Emirates Mall qui reproduit une piste de ski. Tout un décor des Alpes y est reconstruit (Saint Moritz !), du restaurant — avec son feu de cheminée et la raclette — aux télésièges en passant par le magasin d’équipements.

Cependant, le nombre de shopping malls pose la question de la durabilité de Dubaï en général et de la pratique du shopping à outrance en particulier. La crise mondiale est arrivée jusqu’à Dubaï ; comme le souligne François Cusset lors de l’exposition Dreamlands au Centre Pompidou de Paris, la construction massive de tours, d’immeubles, d’hôtels luxueux, de centres commerciaux ne prend vie que s’il y a des acheteurs. Or, on découvre à la tombée de la nuit des immeubles entiers quasi vides de toute vie. Et si la fierté d’hier était de posséder une bonne partie du parc mondial de grues (Cusset, 2008), Dubaï a aussi pris de plein fouet la crise. Il ne faut pas oublier que la Burj Khalifah — un des symboles majeurs de Dubaï — existe en partie par la volonté et le portefeuille du voisin Abu Dhabi. D’autre part, malgré la pratique intensive du shopping de certains Dubaïotes, les shopping malls sont loin d’être une fourmilière de milliers de personnes. Le Dubaï Mall connaît des flux intenses parce qu’il est la seule entrée pour la tour. Mais au-delà, le shopping mall n’a rien de celui bondé que l’on peut retrouver dans certaines métropoles occidentales comme Paris, Londres ou New York.

Reste que l’ambition de Dubaï, on le sait, est de devenir une destination touristique majeure, au même titre que Paris, Londres ou New York. Pour cela, elle compte sur les voyages d’affaires mais elle souhaite aussi capter des touristes en se constituant comme un maillon de premier ordre dans la nasse des flux mondialisés : Emirates Airlines totalise déjà 90 commandes fermes d’Airbus A380 et souhaite en acheter 40 de plus. Le modèle dubaïote est celui du parc d’attraction renouvelé : le shopping mall est le parangon de l’exotisme en boîte, où l’on découvre une vie différente à celle de l’extérieur. Dehors, la chaleur étouffante, les bâtiments en cours de construction, la présence de millions d’immigrés, le balai incessant des voitures et une architecture grandiose… À l’intérieur, c’est une population hors sol qui vit entre modernité et tradition. Il n’est pas sûr pour autant que le shopping mall devienne l’attraction majeure de Dubaï et qu’il soit un moteur d’attractivité touristique forte. Un touriste occidental est-il prêt à venir à Dubaï juste pour une pratique intensive de shopping ? Dubaï a-t-elle tous les atouts pour devenir une destination touristique ? Dans tous les cas, l’originalité et l’ingéniosité que l’on y voit ne peut que couper le souffle.

Auparavant

Ils arrivent même à louer des frigos

Ensuite

Lille-Lens en TER, une heure de course

2 Commentaires

  1. Luis Fernando Gómez
    à

    Malls: a hideous place to walkers, bikers and community life.

  2. benkirane
    à

    Très intéressant. Ce modèle s’exporte par ailleurs, avec plus ou moins de succès. Le Morocco Mall, inauguré à Casablanca il y a tout juste un an, et propulsé au rang de fierté nationale ressemble beaucoup à ce que vous décrivez. Bien que ne correspondant pas du tout à la culture marocaine en termes de consommation – le centre commercial en tant que tel ne marche pas au Maroc! – il a été érigé en périphérie de la ville et, pire encore, en front de mer. La plupart des gens qui y vont l’utilisent comme un espace de balade seulement, car les magasins Dior, Vuitton et autres restent inaccessibles. Il est probable que ce Mall soit progressivement délaissé et pauperisé dans peu d’années, à l’image de ce qu’ont connu les centres
    commerciaux Casablancais réalisés précédemment.
    Sur un autre registre, voir benkirane-urba.overblog.com

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