Accueil»Écritures»SIGNAL URBAIN»
Périphérique, terre promise

Périphérique, terre promise

0
Partages
Pour les quarante ans de cette voie circulaire englobant Paris, si intimement présente dans la vie quotidienne de millions de Franciliens, il était nécessaire de faire le point, de scruter l’avenir et de documenter le présent. C’est chose faite, avec l’œuvre que le collectif Babel Photo nous propose. Une véritable « archéologie préventive » du périph’ pour les décennies à venir…

[© Sébastien Sindeu / Babel Photo]

Difficile de trouver un marqueur métropolitain plus fort, sinon peut-être la Seine. Le boulevard périphérique est l’autoroute urbaine la plus empruntée d’Europe. 35 kilomètres de pourtour, dont 28 en « 2 × 4 voies », 40 mètres de chaussée en moyenne, quelque 138 hectares de bitume, 50 échangeurs, 156 bretelles, 148 passages supérieurs… On égrènerait sans fin les chiffres de cette boucle qui s’achève en 1973, après 13 années de chantier, entre les Portes d’Asnières et Dauphine.

[© Eric Besnier / Babel Photo]

Depuis sa patiente édification, le boulevard périphérique a suscité bien des curiosités. Ainsi, ce n’est pas la première fois qu’on essaye, comme Babel Photo, de se départir de l’image univoque d’une infrastructure « égout à bagnoles », bruyante et laide. Pour en décrire l’histoire, rien de tel que l’ouvrage de Jean-Louis Cohen et André Lortie, Des fortifs au périf (1991). Il y a eu ensuite le livre richement illustré de Jérôme de Baecque et Christian Blavy, Le Périf, publié en 1993, c’est-à-dire pour les vingt ans du boulevard. Patrick Tourneboeuf, photographe de l’agence Tendance floue, avait publié un beau livre centré sur l’architecture brutaliste et ses ouvrages d’art, Périphérique : une photographie de nuit (2005). Du côté de la réflexion urbanistique, Paris, la ville du périphérique est un diplôme d’architectes publié pour les trente ans du boulevard, grâce à l’impulsion de Pierre Mansat, alors adjoint au maire de Paris chargé de Paris Métropole. Les mêmes auteurs, regroupés dans l’agence d’architectes urbanistes TVK, publieront ensuite No limit, livre plus spécifiquement consacré à l’étude d’insertion urbaine du boulevard périphérique. Plus près de nous encore, en 2011, Olivier Pasquiers, du collectif de photographes le Bar Floréal, signait avec le critique François Chaslin une description noire et dure de cette frontière et de cet entre-deux que joue le périphérique.

[© Pieter Jan Louis / Babel Photo]

Une commémoration ou des fleurs sur une pierre tombale ?

Ça n’a pas été une surprise, le 25 avril, les célébrations aux problématiques convenues se sont succédées dans les médias. Une raison de plus pour s’intéresser au projet Périphérique, terre promise — livre et application iPad — que porte le collectif Babel Photo. Depuis 2011, six photographes qui ont l’âge du périph’, peu ou prou, arpentent cet étrange voisin, leur ultra-contemporain pour ainsi dire. Chacun est porteur d’une démarche et d’un regard, mais tous ont travaillé avec la certitude que cette infrastructure est amenée à disparaître, à s’estomper, du moins comme « frontière ». Lorsqu’on sait qu’il a fallu consacrer quelque 60 millions d’euros et 26 mois de travaux pour couvrir sur 250 mètres la Porte-de-Vanves, on se doute qu’il y a du chemin à parcourir !

Cependant, à rebours des ouvrages précédemment mentionnés, Périphérique, terre promise propose une « archéologie » pas simplement du béton (bien qu’une série de Ludovic Maillard en restitue toute l’auguste monumentalité), mais aussi des pratiques sociales, des dynamiques humaines, des négociations incessantes entre le dedans et le dehors qui façonnent, dans leur belle variété, un portrait métropolitain inédit.

[© Ludovic Maillard / Babel Photo]

Si l’on se place à l’horizon prospectif de cinquante ans, voire même d’un siècle, ce portrait tire dès aujourd’hui sa signification des visages qui évoquent les millions d’habitants concernés par le périphérique, ceux qui y vivent une histoire et la racontent parfois. Un lien affectif, fort, éminemment symbolique, désigne alors plus sûrement l’autoroute urbaine que ses lacets d’asphalte. Babel Photo renoue ainsi avec l’enquête de Georges Perec sur le quotidien et sur la ville, lequel regrettait en ouverture d’Espèces d’espaces que « nous passons d’un espace à un autre sans songer à mesurer, à prendre en compte ces laps d’espace ». Quel que soit l’avenir du périph’, ce qui demeure incompressible et qu’on ne saurait résumer ni réduire, c’est cette intensité des ancrages et des parcours franciliens dont il est le dépositaire.


Périphérique, terre promise de Babel Photo est paru aux éditions h’Artpon.

Outre le livre, je vous recommande aussi la lecture du blog « compte à rebours » que le collectif a tenu sur lemonde.fr.

Les photographes : Thomas Louapre, Ludovic Maillard, Eric Besnier, Marie Pierre Dieterlé, Pieter Jan Louis, Sébastien Sindeu.

Textes de Luc Gwiazdzinski et de Léo Henry.

Auparavant

Micromegapolis, Lorsqu’une ville rencontre Gaïa

Ensuite

Pour une introduction à l’autonautique

1 Commentaire

Commenter cet article

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>