Accueil»Écritures»FLYER URBAIN»
Miroirs de la ville #9 La ville, une impression sociale

Miroirs de la ville #9 La ville, une impression sociale

0
Partages

Le mardi matin, Urbain, trop urbain promène un livre le long du Web. Les liens reflètent une veille hebdomadaire diffusée sur TWITTER, mais c’est le livre qui va s’y mirer. Tirer de cet exercice spéculaire un répertoire symbolique, une éthique de la ville, comme le voudrait le genre du miroir ?

> Miroir à partir de Patrick Baudry, La ville, une impression sociale (Éditions Circé, 2012).*



J’ouvre Paysage fer de François Bon, la mécanique devenue texte de la récurrence et de la répétition d’un monde qui vient à toi en images :

« Le billet de train Paris-Est Nancy porte l’indication : trois cent cinquante-deux kilomètres. Calcul rapide, flux rétinien dix mille milliards de photons par seconde, de huit heure dix-huit à onze heures vingt-deux, et division selon l’analyse de ce flux, vingt-quatre fois par seconde puisque c’est quantifié, et le contraste entre la répétition des images presque fixes, longue plaine ou forêt, canal ou fleuve qu’on longe, le temps arrêté des gares puis le surgissement à sauver, la profusion saturante d’un détail qu’on ne peut attraper suffisamment vite. » (François Bon, Paysage fer, Verdier, 2000, pp.17-18)

Je découvre le travail photographique de Marie Combes, ses « itinérances métropolitaines » actuellement exposées à Los Angeles, qui ne se mesurent à rien, ne s’indexent pas, puisent dans le négatif d’un paysage… Le point commun de ces œuvres pour moi est de révéler — et d’aimer, surtout — la matérialité équivoque de l’urbain dans le langage flou d’une impression rétinienne, ce que François appelle magnifiquement « sauver le surgissement », surgissement où le philosophe repère le phénomènesôzein ta phainomena !


Car enfin, qu’est-ce que l’urbain ? Par le choix de notre nom de baptême, Claire et moi avons justement désigné en creux l’espace de cette question, quant au sentiment d’inachevé, d’inaudible et d’indescriptible que l’urbain enveloppe. Pourquoi ? Parce que l’urbain défie la circonscription de la ville, sa rationalité, sa quadrature, son identité… et l’extrême communicabilité de ses représentations, jusqu’à la publicité. Richard Sennett a bien posé ces notions dans quelques unes de ses études sur la ville. Mais l’urbain arrive « en hors lieu » par rapport à cela, confirme Patrick Baudry, qui pointe aussitôt les raisons de notre gêne à assumer la fin de la ville, tant notre répertoire anthropologique exige la clôture de son objet de connaissance/reconnaissance :

« La ville, l’idée de ville, suppose une clôture. Que celle-ci s’ouvre, que ses frontières deviennent imprécises au plan des usages qu’on a dans un monde urbain, ne saurait contrarier le sentiment qu’il y a la ville et puis ce qui se trouve à côté d’elle, au-delà de ses bords. Cet au-delà pourrait certes lui appartenir sans modifier la certitude qu’existe un cercle au sein duquel la ville véritable possèderait par nature le monopole légitime de son nom. Le cercle donc le centre, la centralité donc la stabilité. La continuité et la cohérence en plus. C’est en miroir de ces qualités qu’il faudrait trouver dans l’objet “ville”, que sont centrés, édifiés et stabilisés, ici comme ailleurs, des savoirs des sciences humaines. » (p.16)


C’est la ville comme société, classe d’objets et hiérarchie des savoirs que l’urbain interroge au travers de phénomènes et dépouilles sensibles qui parcheminent et bigarrent notre existence sociale, sans jamais tout à fait former d’espace habitable, ni par le corps, ni par l’esprit. D’où le mouvement de va et vient, entre tenue et déprise, que l’urbain donne à l’écriture « vis sans fin » qui prétend le traverser. C’est le cas dans les Ruines de Jacques Réda : poésie qui vagabonde dans les interstices et les creux, croit saisir la ville et se défie dans le même temps de ce qu’elle croit, sans crainte du sort pathétique que ces ruines reflètent dans le miroir promené le long du chemin.

« Il y a sans doute des endroits où la ville est absente. Mais il en est peu aujourd’hui où l’urbain ne soit pas présent comme en creux. Comme une ambiance, un climat, une sonorité, un monde. » (p.44)


À l’écriture urbaine qui « dévisse » la ville, se joint le cortège des usages, toujours ambigus d’une ville désintégrée ou dispersée. Comment les appartenances s’y expriment-elles ? « La foule de mon corps en souffre », écrivait Claire à Hong Kong : c’était dire l’assujettissement et la perte d’identité du corps propre, au-delà encore des hallucinations de Verhaeren. L’urbain, en décalages et écarts multi-territoriaux constitue en même temps une chance de « déprogrammer » les usages : il procure une étrangeté à soi-même, nouvel angle d’interrogation de l’espace par nos pratiques.

« La ville produit sans doute une corporéité typique, des usages du corps qui correspondent, sur un mode communicationnel surtout non-verbal, à la pratique des espaces publics. Mais c’est aussi le corps, dans sa singularité même, qui façonne l’urbain. » (p.28)

L’espace ouvert par l’urbain — qui le rend si terriblement insaisissable pour nous qui l’arpentons et l’aimons malgré tout —, c’est ce manquement à la désignation, le fait d’échapper, ne serait-ce qu’en partie, au schème communicationnel. Parcourant l’urbain, je suis comme un danseur de corde qui ne dispose pas des rets sécurisants d’un espace signifiant, cet arrière-fond communicationnel auquel certains ont justement identifié « l’espace public ». Je change de régime et rien ne fait signe par automatisme. D’où la question prégnante de l’habitabilité, lorsque l’unité, la continuité, la cohérence ne sont pas données. C’est à la fabrication active de « mon » espace que mes pratiques urbaines travaillent, fourbissant les résonnances sensibles et l’armature signifiante susceptible d’héberger mon désir :

« Il s’agit de dire que la corporéité comme forme perceptive non passive, incarnation et situation en un monde qui est d’emblée habité en sa présence, ne se sépare pas d’un environnement mais participe sensiblement d’une spatialité intelligible. » (p.52)

Chercher une scansion, des moyens d’inventer la forme urbaine par le regard… S’installer dans la vacance du passage d’un lieu à l’autre, dans le transit… Mettre en scène une corporéité créatrice… L’urbain excède la forme prévisible du rapport à la ville et joue pour nous d’autres relations, où l’indifférencié voisine avec la singularité. La contemporanéité de telles relations tend à nous faire définir à nouveau frais notre espace de représentation ; et elle dit assez, pour moi et bien d’autres, la nécessité de penser l’urbain en « hors cadre », avec une trame textuelle et des catégories appropriées, et dans le jeu des prépositions « par » et « avec »… celles qui forment la socialité.


>> Suivez Urbain, trop urbain sur Twitter et essayez de deviner ce que sera le prochain miroir de la ville !


La ville, une impression sociale

Patrick Baudry

Date de parution : 05/01/2012

Éditions Circé

122 pages — 14 € TTC

Et si vous achetiez cet ouvrage chez un libraire ?

Ombres blanches, Le Genre urbain, Mollat, Decitre (liste non exclusive).

*

Auparavant

Miroirs de la ville #8 Une brève histoire des lignes

Ensuite

Shanghai en folie, quand le Web devient une machine à écrire

1 Commentaire

  1. […] j’y découvre ce livre dont vous pouvez lire des extraits dans le billet de blog intitulé Miroirs de la ville #9 La ville, une impression sociale […]

Commenter cet article

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>