Les particules

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On ne les aperçoit pas. Pourtant, si nous placions Toulouse sous une immense cloche de verre fonctionnant comme une chambre de Wilson, nous verrions alors s’y tracer sous l’effet de la condensation leurs multiples trajectoires. L’air serait zébré de traînées noires, presque cotonneuses, trahissant leur présence dans le brouillard saturé que l’énergie des hommes exhale, tel la soupe primitive d’un nouveau climat. Car ce ciel bas et lourd qui « pèse comme un couvercle » n’est plus celui de Baudelaire. Il tire sa condition d’instruments de mesure et de juridictions sociotechniques particulières. Depuis que nous le reconnaissons exister et peser dans les rets de nos indicateurs de qualité, il est une seconde nature dans laquelle nous nous débattons et, dans le même temps, il ne sera jamais que l’aura de nos ambitions métropolitaines.

L’anneau du périphérique est l’un de ces concentrateurs privilégiés, tenant à la fois de l’observatoire instrumenté et de l’agent de l’ombre qui passe en sous-main les phénomènes mesurés. Elles y évoluent, graciles, en suspension. Elles s’y égaillent en ténues poussières d’un ballet brownien. Entre le corps subtil des Anciens et la substance aéraulique à la gravité négligeable, elles portent leur risque volatil et noir aux poumons et même jusqu’aux alvéoles du cœur. Comme pour ramener les intérêts passionnés des Toulousains, qui en sont le principal pourvoyeur, à leur habitacle originaire…

Ces corpuscules au diamètre aérodynamique – fussent-ils éphémères ou bien persistants d’une semaine – ne sont pas réductibles aux entités mécaniques et chimiques issues de la combustion des énergies fossiles que quelques ingénieurs et savants isoleraient et mesureraient, afin de nourrir des recommandations de santé publique. Car le benzène, les hydrocarbures, les métaux lourds et composés carbonés, ou encore le résidu de l’abrasion des pneus sont un peu comme l’hostie après le sacrement : les adjuvants de leur composition organique sont tous ces sentiments, ces injonctions paradoxales, ces rites du quotidien, ces visées organisationnelles, tous ces millions de cours d’action qui s’entrelacent quotidiennement sur un bandeau d’asphalte, en un mouvement bien plus hasardeux encore pour l’observateur que ne l’est celui des corps gazeux.

Mixtes et ambiguës, elles sont le problème et la solution, comme on le dit d’une précipitation créée sur la paillasse d’un laboratoire. On les quantifie en microgrammes et en micromètres, mais c’est tout un monde qui est plié à l’intérieur. C’est pourquoi elles ne meurent pas, mais déménagent seulement : ce sont les particules.

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1 Commentaire

  1. […] On ne les aperçoit pas. Pourtant, si nous placions Toulouse sous une immense cloche de verre fonctionnant comme une chambre de Wilson, nous verrions alors s’y tracer sous l’effet de la condensation leurs multiples trajectoires. L’air serait zébré de traînées noires, presque cotonneuses, trahissant leur présence dans le brouillard saturé que l’énergie des hommes exhale, tel la soupe primitive d’un nouveau climat.  […]