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« Nous sommes Sulukule »

« Nous sommes Sulukule »

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Symbole de la mobilisation populaire contre des projets urbains discutables, Sulukule était l’âme Rom d’Istanbul.

L’association Sulukule Roman Kültürünü Geliştirme ve Dayanışma Derneğiğ (Association pour la solidarité et le développement de la culture Rom de Sulukule) produit en 2006 un communiqué de presse qui suffit presque à résumer l’intrigue urbaine et sa triste résolution :

« En tant qu’habitants Rom de Sulukule, au nombre de 3500 dans les quartiers de Neslişah et Hatice Sultan (703 propriétaires et 303 locataires), nous sommes confrontés depuis le mois de novembre 2005 à un projet de gentrification du quartier. Nous risquons de devoir quitter notre quartier historique vieux de mille ans, une fois nos maisons détruites par la municipalité (belediye) de Fatih pour un renouvellement du quartier dans son ensemble. Selon le projet en question, les habitants qui n’ont pas de titre de propriété sont forcés de quitter le quartier qu’ils habitent depuis des siècles. Sans revenu, sans logement, sans école, ils n’ont pas d’autre choix que de vivre dans la rue. Nous sommes Neslişah, nous sommes Hatice Sultan, nous sommes Sulukule, nous n’avons pas d’autre histoire ni d’autre endroit où loger. Si le belediye désire vraiment préserver cet endroit comme patrimoine historique, qu’il nous apporte alors un soutien financier et un encadrement par des ingénieurs et des architectes, pour que nous assurions l’entretien et la rénovation des maisons. Car nous aussi voulons embellir et consolider nos maisons. Par ailleurs, nous voudrions faire revivre Sulukule, pour que notre quartier contribue à la vie culturelle et au divertissement d’Istanbul, et offre des possibilités d’emploi aux jeunes et moins jeunes, aux femmes comme aux hommes. » [traduction OUI]

La mairie de Fatih, district auquel appartient le quartier, entendait démolir 463 gecekondus (« bâti dans la nuit » : désigne l’habitat initialement illégal, mais qui a longtemps été un processus de peuplement vernaculaire d’Istanbul). Aujourd’hui, des résidences en pseudo « style Ottoman » sortent de terre, bâties par l’opérateur immobilier tout puissant TOKI. En 2009, 291 des 300 familles déplacées à Taşoğluk, sur un autre projet immobilier de TOKI tenteront de revenir à Sulukule en signe de protestation contre les conditions qui leur sont imposées dans les logements « neufs » de banlieue. Une chanson prend pour refrain : « Rak, rak, raki… Yaktın bizi TOKI… Mahallemden kopardın, vicdansız TOKI » (« TOKI, tu nous as dupés… Tu m’as arraché à mon quartier, TOKI sans scrupules »). La mobilisation a été pourtant des plus actives. La résistance populaire s’est même traduite par l’organisation d’un festival de soutien à la culture Rom. Des projets alternatifs de rénovation du quartier avaient été présentés en 2008 et 2009. Rien n’y a fait. Des chercheurs et des explorateurs urbains ont rendu compte du processus de démolition de ce quartier. La documentation de l’histoire de Sulukule reste vivante, alors que tout est à présent rasé.

Les ouvriers qui construisent ici un grand lotissement travaillent derrière de hautes palissades de chantier. Ce n’est qu’en grimpant sur les vestiges de la muraille de Théodose II qu’on peut voir l’état des lieux de cette politique de « transformation urbaine » (Kentsel Dönüşüm), particulièrement cruelle ici. Autour du cas d’école de Sulukule, ce sont bien d’autres mobilisations qui ont actuellement lieu à Istanbul, fabrique urbaine disputée. « Nous sommes Sulukule », un cri fédérateur ?

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Inverser le Ponte Vecchio

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Avec vue imprenable sur la Mer

2 Commentaires

  1. […] plein cœur : fracture de ville, fêlure de la muraille, brisure d’un quartier. TOKI a […]

  2. […] À Constantinople, rapporte Reşat Ekrem Koçu dans l’İstanbul Ansiklopedisi, on raillait les Roms qui laissaient entrer les chiens chez eux, Ô bizarrerie ! Le chien est en effet un animal impur […]

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