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Espace en attente de désenvoutement

Espace en attente de désenvoutement

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À Shanghai, dans le quartier historique de Hongkou (nord de la rivière Suzhou), au point de convergence de deux canaux, «Slaughterhouse 1933» est un ensemble de trois bâtiments dont deux ont fait l’objet d’une requalification importante. Comme son nom l’indique, avant de devenir tout récemment un centre culturel branché, ce complexe avait été construit dans les années 1930 pour assurer la fonction d’abattoir de porcs. Ce sont des architectes britanniques (dont je n’ai pas réussi à trouver le nom) qui auraient dessiné ce bâtiment, sis dans la concession internationale, mais sous un mandat chinois. Ce sont à l’époque les plus grands abattoirs d’Asie. Avec la Révolution culturelle, les abattoirs changent de fonction: on y produit des appareils médicaux, et ce jusqu’en 2002.

Reconnus comme un héritage industriel important — ce qui en soit est déjà étonnant de la part d’une ville chinoise —, leur avenir placé sous la tutelle de la Shanghai Creative Industries Corporation, la rénovation est décidée, avec l’architecte chinois Zhou Chong Xin comme maître d’œuvre en chef. Un investisseur chinois, Paul Liu, obtient une concession d’exploitation de trente ans pour lancer le projet “1933”, la création d’un complexe de design et d’un pole d’animation artistique, de mode et de cuisine. L’endroit se veut ainsi une pépinière de talents et un prolongement, plus chic, de l’animation culturelle de Suzhou creek. 100 millions de yuans auraient été officiellement consacrés à cette rénovation. Avec l’espoir non dissimulé d’une gentrification du quartier et de retombées dans l’immobilier. Toutefois, les choses sont parfois plus compliquées que ne le voudraient les investisseurs. Ces derniers n’avaient en tête que l’objectif de livrer un produit et de «faire un coup». Ouvert en grande pompe au printemps 2009, le lieu n’a toujours pas trouvé ses marques. Il est même sacrément désert! La controverse qui l’entoure rappelle celle que nous connaissons en France avec le 104.

«Aucun chinois ne s’installera là», m’a confié Frank, un observateur attentif de la vie shanghaienne. «Si au moins ils avaient payé les services d’un lama pour désenvouter l’endroit!», ajoute-t-il. En effet, le passé du bâtiment fait que les shanghaiens émettent toujours de fortes réserves sur l’attractivité de l’endroit. L’abattage des bêtes n’est pas une fonction anodine dans une société animiste. Depuis la reconnaissance des religions par l’État chinois, la superstition («mixin») se déclare plus ouvertement: «wo bu xin zongjiao, wo xin mixin» (je ne crois pas en une religion, je crois à la superstition).

Le cochon de Piranèse

Quoiqu’il en soit, le 1933 est superbement rénové, et c’est un réel plaisir (occidental?) que d’évoluer dans son architecture. On ne peut que relever l’étonnante expressivité du béton rugueux, dont la maîtrise rappelle ici sans exagération un Auguste Perret.

Le plus petit bâtiment est surmonté d’une cheminée à étagement; les pans de béton sont cannelés dans le prolongement des ouvertures, carrées et à huisserie acier: l’alternance de striures horizontales et verticales compose une façade en damier. Le bastingage en terrasse supérieure complète une expressivité de bon aloi, adoucie par ces éléments art déco. Une passerelle relie ce bâtiment à un autre, de structure poteau-poutre, mais au parement en brique, et dont les travées sont plus larges et davantage ouvertes en grands pans vitrés. Une cheminée de haut fourneau complète ce premier ensemble sur canal.

De l’autre côté de la rue, le bâtiment amiral de ces anciens abattoirs offre un style plus original. Planté sur des piliers art nouveau, dont le dessin au géométral mesuré ne laisse pas deviner l’imbrication des espaces intérieurs, il présente une majestueuse façade sur rue tout de résille de béton. La modénature en est simple mais équilibrée. Cet immense moucharabieh permet à la lumière du soleil d’éclairer les trois grands plateaux intérieurs. Mais lorsqu’on pénètre dans ce bâtiment, on découvre une architecture piranésienne qui se développe sur quatre niveaux en un entrelacement étourdissant d’escaliers en spirale et de rampes incurvées qui prennent fin dans une rotonde centrale entièrement vitrée et munie d’un praticable en verre renforcé, le Theater. Dans les ailes supérieures, des bureaux, des agences créatives. Les galeries occupent les niveaux intermédiaires centraux.

La structure poteau-poutre-dalle offre toutes les fantaisies de béton armé. On en vient à oublier que les rampes incurvées servaient à conduire et canaliser les troupeaux de cochons et que ce que nous goûtons comme étant une vraie «promenade architecturale» était fonctionnellement implacable. Aujourd’hui, nous assistons ici à une vraie symphonie d’espaces servants s’enroulant dans un cadre panoptique d’une grande élégance. En définitive, le confucianisme populaire est un bon allié. On se surprend à souhaiter que cet espace ne connaisse jamais de désenvoutement.

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Longtang memory

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1 Commentaire

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: Espace en attente de désenvoutement: les anciens abattoirs de #Shanghai http://ow.ly/1Bk4d […]

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