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Mon Vieux Père

Mon Vieux Père

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(À écouter) Old Man River — Don Byas

J’étais si petite, sinon malvenue, en dessous de l’espérance commune. Mais il ne rejeta pas ma naissance. Il accueillit la nouvelle, je me lovai ici. Lui, le Père qui resterait solitaire, embrassait sans chérir. Prodigue en tout sauf en sentiment, il dissimulait ses tourments. Que de colère grondait en lui! La force contenue, quand elle explose, ravage ce qu’elle touche, mais on s’en relève, à la différence d’une haine continue, qui ronge et sape toute fondation. J’ai payé cher la richesse de cette relation que je ne troquerais pourtant contre rien ni avec personne. De notre histoire mêlée, je veux retenir la pâte épaisse et molle. Si je tiens mon père, le Père, en respect, comme on met en joue un agresseur, je lui dois une certaine fierté d’être devenue qui je suis. Mon père, le Vieux Père, me balança dans le courant du monde pour m’apprendre à nager. Lui m’amenait des prétendants, pas des choisis, du tout venant. J’étais sirène, ils étaient naufragés. «La salope» de l’Amérique, la fille «facile», alors que j’étais si compliquée, sans cardinalité… Les épithètes, j’en faisais des lanternes rouges et des chansons de blues. Je me fis de la musique un bastion pour attendre ses coups. Le Vieux Père, père de tous. Il est pourtant le solitaire. Qui étais-je sans le parcours qui est sien? Sans ses avancées et reculs? Sans le sang de l’Amérique dont il est l’aorte? Sa rythmique binaire… En mon cœur… Elle résonne en moi, enfant de mélodie et de chagrin. Ce que j’ai réussi, tant bien que mal, à fertiliser, c’est Lui qui l’a charrié, tranquille ou furieux.

Ô nom du Père, besoin de rattachement à ta géographie. Te perdre, et je ne suis plus qu’une juive errante, sans lieu. Tu es corps. Tu es pensée. Tu es le travailleur. Ma machine! Ta tristesse aurait pu être russe ou italienne. Pour moi, Ô Père, tu es la signature de Dieu gravée «ici». Déictique qu’il faut ramener au «là-bas» de mes airs populaires. Et par cette copulation d’ici à là-bas, Ô Père, le bon temps à vivre nous enveloppe dans la Musique, jusqu’à ce que la marche funéraire sonne depuis «là-bas» jusqu’ici. Mais dis-moi qu’il n’est pas déjà arrivé ce dernier temps, dis, Ô Père, Ô Mississippi?

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1 Commentaire

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par aleph187b, brigitte celerier. brigitte celerier a dit: Mon Vieux Père: http://bit.ly/cBdtcZ via @addthis […]

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