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Mound Builders, les bâtisseurs de paysage

Mound Builders, les bâtisseurs de paysage

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Le dragage, l’excavation et le transport à des fins utilitaires d’énormes quantité de terres alluviales est l’un des traits les plus caractéristiques de l’occupation humaine de la terre, qui se traduit par l’architecture de territoires entiers. Avant l’artialisation du paysage dont parle Alain Roger [1], ou peut-être en corollaire, il y a cette érosion accélérée des couches géologiques par l’activité des hommes, l’une des signatures les plus évidentes de l’anthropocène et cependant si discrète.

« Je suis convaincu que le futur est perdu quelque part dans les dépotoirs du passé non-historique. »
— Robert Smithson, Les Monuments de Passaic, 1967
Ainsi, en Louisiane, nous nous trouvons confrontés à une échelle inouïe de ces modelages du sol – dragage constant du Mississippi, creusement de canaux dans les marais, levées de protection – tout en vivant le rêve éveillé d’une nature qui relève de la Wilderness [2]. À ma grande surprise, je découvre cependant dans le livre de Lee Sandlin, Wicked River [3], un fait historique qui me ramène bien au-delà des deux derniers siècles d’intense modification du paysage de la Louisiane du sud.

Serpent Mound in Ohio
Serpent Mound in Ohio

Lors de leur progression le long des cours du Mississippi et de l’Ohio et de l’établissement de leurs premiers comptoirs,  les occidentaux découvrirent un ancien earthwork, une construction artificielle de territoire particulière : des centaines voire des milliers de monticules réguliers, parfois de véritables pyramides de terre. Mais leurs formes varient, certaines sont moins géométriques qu’anthropomorphes ou en motif animalier. Ces tertres sont souvent associés dans des ensembles de plusieurs hectares, témoignant de l’existence d’agglomérations de plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Les tumulus sont parfois si étendus qu’on n’imagine pas qu’ils soient autre chose qu’un pli géologique naturel.

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Des fouilles archéologiques sérieuses débutèrent à la fin du XVIIIe siècle et le mystère est allé en s’épaississant. On trouva des restes de mammouth de l’âge de pierre, on trouva de nombreux objets d’artisanat de l’âge de cuivre et des reliques d’une civilisation raffinée [4]. Les affectations de ces tumulus paraissaient varier : cimetières, temples, fortifications, fondations pour l’habitat… Les monticules des Mound Builders formaient des terraces dominant la plaine inondable et probablement les alluvions charriés lorsque le fleuve sortait de son lit ont-ils été utilisés pour augmenter ou consolider l’ouvrage. La composition interne des promontoires, l’assemblage de matériaux, les pieux de soutènement pour éviter les glissements de terrain: tout cela avait été fait par un peuple ne connaissant pas la roue [5]

postcard

« It is altogether unknown to us what could have induced the Indians to raise such a heap of earth in this place… It is reasonable to suppose, however, that they were to serve some important purpose in those days, as they were public works, and would have required the united labour and attention of a whole nation. »
— William Bartram (naturaliste), 1775
Alors que les indiens Zuni et les Pueblos se sont distingués par un art architectural évident, dans le cas des Mound Builders, les occidentaux refusèrent de croire qu’il s’agissait d’indiens. En effet, de toutes les tribus qu’ils côtoyèrent et assassinèrent, aucune n’avait semblé conserver cet art étrange des tertres. Un imaginaire s’est donc déployé : ce ne pouvaient être des indigènes, c’étaient plutôt des Phéniciens, ou des Vikings, ou bien des tribus perdues d’Israël, voire des réfugiés de l’Atlantide, ou une race éteinte de géants, etc. Tout mais pas des indiens [6]. Aujourd’hui encore, la légende des géants est perpétuée selon la même mécanique de persuasion que l’affaire de Roswell. Même si le mystère demeure entier sur les Mound Builders, leur règne et leur disparition, les études archéologiques contemporaines restituent toutefois cet héritage aux indiens. Bien avant que les Natchez furent massacrés par les Français (1729), bien avant l’invasion de Mexico par Cortes (1519), bien avant les incursions Viking sur la côte nord-est (1000), avant même les grandes civilisations d’Amérique centrale (Olmèques, Mayas puis Aztèques) il y eut cet épanouissement archaïque des ancêtres de la culture mississippienne. Les tertres de Poverty Point, en Louisiane, sont apparus en 2500 avant notre ère. Cahokia, en Illinois, comptait en 1100 quelque 30 000 habitants. C’est un long épanouissement et un long déclin que connurent les Mound Builders. Leur épopée reste enterrée pour toujours dans ces grands monticules de terre que l’on remarque à peine. Que dira-t-on des levées sur le Mississippi dans deux-mille ans ? Appartiendront-elles aussi aux dépotoirs du passé non-historique ?

The Poverty Point site in Louisiana, 1500 BCE
The Poverty Point site in Louisiana, 1500 BCE
Poverty point vue artistique, 2007
Poverty point vue artistique, 2007

[1] Alain Roger, Le court Traité du paysage, 1997.
[2] Voir le dernier livre de Catherine et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, Une enquête philosophique, 2015.
[3] Wicked River: The Mississippi When It Last Ran Wild, Lee Sandlin, 2011.
[4] The Mound Builders : Their Works and Relics, Vol. 1, Stephen Denison Peet, 1892.
[5] The Mound Builders of Ancient North America: 4000 Years of American Indian Art, Science, Engineering, and Spirituality Reflected in Majestic Earthworks and Artifacts, E. Barrie Kavasch, 2003.
[6] Mound Builders, Robert Silverberg, 2013.

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Mighty Mississippi

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Mall Walkers

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