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Le lendemain de la veille urbaine #15: la rénovation urbaine

Le lendemain de la veille urbaine #15: la rénovation urbaine

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Le lundi matin à heure fixe, Urbain, trop urbain donne sous forme de chronique un petit résumé des meilleurs liens glanés sur Internet lors de la semaine écoulée. Le fonctionnement est simple : le taux de consultation des URL diffusées sur notre compte Twitter fait le partage statistique, charge au rédacteur de trouver un fil rouge dans les liens ainsi sélectionnés par cet arbitraire de l’audience…


 

Ils visitèrent tous les clubs, ou presque tous, les rouges et les bleus,

les furibonds et les tranquilles, les puritains, les débraillés, les mystiques

et les pochards, ceux où l’on décrétait la mort des rois, ceux où l’on dénonçait

les fraudes de l’épicerie ; et, partout, les locataires maudissaient les propriétaires,

la blouse s’en prenait à l’habit, et les riches conspiraient contre les pauvres.

Plusieurs voulaient des indemnités comme anciens martyrs de la police,

d’autres imploraient de l’argent pour mettre en jeu des inventions, ou bien

c’étaient des plans de phalanstères, des projets de bazars cantonaux, des systèmes

de félicité publique ; — puis, çà et là, un éclair d’esprit dans ces nuages de sottise,

des apostrophes, soudaines comme des éclaboussures, le droit formulé par un juron,

et des fleurs d’éloquence aux lèvres d’un goujat, portant à cru le baudrier d’un

sabre sur sa poitrine sans chemise. (…) On devait, par affectation de bon sens,

dénigrer toujours les avocats, et servir le plus souvent possible ces locutions :

« apporter sa pierre à l’édifice, — problème social, — atelier ».[1]

Flaubert aurait décrit les procédures participatives de nos grands projets d’urbanisme que nous n’aurions guère vu de différence par rapport à ces clubs « de l’intelligence » qui fleurirent à l’issue de la première révolution de 1848. À l’égard du projet urbain, mi engagé, mi dégagé, chacun de nous porte en lui un Frédéric Moreau voyageant dans le siècle du renouvellement permanent des modes, adoptant l’une et révoquant les autres au gré des circonstances.

Vous aussi, vous êtes férus de démocratie « participative », de « rénovation », de « régénération » et surtout de « projet urbain » ? La « gouvernance » métropolitaine vous fournit, c’est commode, un vocabulaire portatif du parfait petit aménageur. On oscille entre le volontarisme politique se défendant de faire le lit de la gentrification (comme à Montreuil), les envolées lyriques sur le débat du Grand Paris et le « branding » assumé de nombreuses villes, qui laisse à penser que la signature « Marketing is Urbanism » a de merveilleux jours cyniques devant elle.

A-t-on besoin d’énumérer ce qui a été détruit à Shanghai en 2010, année de l’Exposition universelle ? Ne doit-on s’étonner que des brusques changements de Hong Kong, qui balayent toute une mémoire ? Croit-on qu’il n’y a que Brooklyn où les acteurs immobiliers s’en donnent à cœur joie ? Sans parler du terrifiant appétit pour les villes nouvelles prétendument « innovantes », dont parle Saskia Sassen… La « régénération » est une maladie universellement partagée. Par exemple, à Liverpool — une ville qui a perdu 350.000 habitants entre 1951 et 2001 ! —, le quartier autour d’Anfield Stadium a eu des rues entières condamnées et laissées à l’abandon des services municipaux, avant que l’ensemble ne soit déclaré « zone de régénération ». Ce n’est pas si loin de nous. C’est pourquoi, il faut absolument se saisir, en France, de ces espaces annonciateurs de transition avant que le Moloch du projet urbain ne les efface. Dans un travail photographique intitulé “City of Echoes”, Mathieu Drouet investit de la sorte les friches d’un quartier de Lille dont on sent qu’il connaît une période charnière, et que les grands moulinets de la rénovation urbaine s’y activeront bientôt.

La rénovation en France, on vous dira qu’il y a une agence pour ça. L’Agence nationale pour la Rénovation urbaine (ANRU) dépense des milliards à prétendre « réinsérer les quartiers dans la ville » et « favoriser la mixité sociale ». À Garges-lès-Gonesse, on nous dit que ça n’a pas marché. Au cœur même de l’ANRU on dit que la politique de rénovation urbaine en France a un bilan social pour le moins « contrasté ». Pour recadrer cette action dans la sphère complexe des acteurs locaux, je vous conseille de vous tourner du côté du POPSU. C’est une plateforme composée d’universitaires et de professionnels qui s’intéressent à la manière dont les grandes villes françaises développent des stratégies d’adaptation et de transformation et tentent de les transcrire concrètement dans des politiques, des actions et des projets. Était accessible cette semaine la retranscription des actes du colloque de Montpellier et de celui de Marseille.

En bon logicien, j’aime avoir une grille d’interprétation théorique pour interpréter ces phénomènes complexes de l’aménagement urbain. Vendredi dernier, Jérôme Denis et David Pontille de Scriptopolis avaient amicalement convié Urbain, trop urbain à venir discuter leurs thèses ainsi que celles d’autres chercheurs du champ urbain, qui sont regroupées dans le superbe livre collectif Urban Plots, Organizing Cities. Que ce soit Andrea Brighenti et son approche foucaldienne de l’espace public, Stavros Stavrides et son architecture des seuils et de la porosité urbaine, ou Giovanna Sonda et Francesco Gabbi, les éditeurs, dont l’ambition est d’articuler la narratologie et les courants de la sociologie urbaine — tous ont montré à leur façon combien les pratiques, les artefacts et les discours composaient un dispositif ou cadre d’existence fluent pour les phénomènes urbains. Longue durée des processus et captation entrepreneuriale de la mémoire urbaine, conflits d’usage et renforcement de la sphère publique locale, imaginaires aménageurs et pratiques participatives, fragmentation des espaces et capillarité du pouvoir, demande collective d’un bien commun et renouveau urbain… Nous avons pu échanger et constater avec plaisir que cette diversité d’angle pouvait répondre à un programme sociologique unifié qui, nous l’espérons, donnera à penser ailleurs, et sur le « théâtre des opérations » notamment.

Ailleurs justement, j’ai assisté en direct (mais à distance — magie du numérique !) au lancement du projet Urban Social Design Experience (USDE), dans les locaux madrilènes de ecosistema urbano. De quoi s’agit il ? De cours online ou d’expériences collectives destinés aux étudiants et professionnels de la ville, qui ont pour vocation d’explorer avec des outils dynamiques et partagés les méthodes de participation, les voies de création collective et de mise en réseau au profit de la culture urbaine et de l’innovation sociale. Le programme est vraiment impressionnant ; les consultants qui mènent les cours interviennent en appui sur les projets soumis par les étudiants ; et j’y retrouve tant d’amis et relations de Urbain, trop urbain (il y a bien sûr dpr-barcelona !) que je me demande ce qu’on attend pour lancer cette mécanique à synergies en France… Selon Andrés Walliser, « les nouveaux activismes urbains n’ont pas les mêmes structures que les mouvements sociaux traditionnels, et n’ont pas vraiment de modèle commun, si ce n’est qu’ils expriment un continuum qui va des nouvelles manifestations du mouvement social comme celle de l’occupation militante, jusqu’aux simples appels au rassemblement citoyen, en passant par l’intervention volontaire de collectifs de professionnels sur l’espace urbain. »

Des exemples de ce qu’on peut faire ? Il y a Against All Odds, qui veut replacer l’architecture et les pratiques territoriales dans le champ de l’éthique… Il y a l’atelier d’architecture autogérée (AAA), qui développe des structures réversibles, supports micropolitiques de l’investissement des citoyens dans les espaces urbains délaissés : « une telle architecture ne correspond pas à une pratique libérale, ne passe pas par des contrats bâtiment après bâtiment ; elle s’inscrit dans des nouvelles formes d’association et de collaboration, basées sur des échanges et des réciprocités avec tous ceux intéressés (individus, organisations, institutions), à quelqu’échelle qu’ils se situent »… Il y a le bureau d’architecture indien Studio Mumbaï, qui a monté un atelier ouvert dans lequel tous les artisans de la construction sont consultés à chaque étape du projet, au lieu d’être cantonnés au seul rôle d’exécutants… Et puis aussi Patrick Bouchain, un drôle de gars qui considère que le chantier doit être au cœur de la cité et qu’on doit pouvoir le visiter comme un lieu de transmission et d’expérimentation : « le chantier, le moment où les choses se réalisent, c’est le moment politique de l’expérimentation. C’est le moment où, entre une décision qui pourrait apparaître comme abstraite pour certains, et une conception qui pourrait apparaître conceptuelle pour certains — c’est le moment de la rencontre avec l’autre, de la mise à l’épreuve ». Après tout ça on peut se détendre et résumer l’histoire de l’urbanisme dans un petit sampling des familles. Il y a de la place pour toutes les musiques.

La semaine dernière, parmi les beaux liens urbains, il y avait aussi…

La place Tahrir fait l’histoire. Le moment de découvrir son histoire urbaine http://ow.ly/3On2l // Les caractéristiques urbaines de la contestation arabe http://ow.ly/3OoeP // La prière est aérodynamique. On sait ça, au moins, depuis « Zone » d’Apollinaire, 1913 http://ow.ly/3NFrJ // Exposition de machines aériennes au Grand Palais http://ow.ly/3OokG // Thierry Girard, la photographie de Chine comme venue de Segalen http://ow.ly/3OojR son texte sur Urbain: http://ow.ly/3OojS // Magnifique aventure: ceux qui ont sculpté le Mont Rushmore http://ow.ly/3OofK // Le Mont Rushmore, suite. Oui, me direz-vous, c’est bien beau, mais comment on nettoie? http://ow.ly/3Ooio // La taxidermie amusante en dix leçons: l’éléphant http://ow.ly/3OogL // Comment un architecte d’intérieur aveugle conçoit notre espace de vie http://ow.ly/3Oodc // Critique situationniste de l’urbanisme californien http://ow.ly/3Ooca // Quatre déclarations sur l’informatique en milieu urbain http://ow.ly/3MwK8 // L’art de la décroissance et ses incidences sur l’architecture http://ow.ly/3OfO5 // Vieillissement et enjeux d’aménagement: regards à partir de différentes échelles http://ow.ly/3R6ap synthèse du colloque // Los Angeles, une histoire visuelle http://ow.ly/3NFnv // Rome, métropole incomplète http://ow.ly/3NFm9 // Les Tours Choux de Créteil http://ow.ly/3NFl5 // Je vous présente le premier MacDo http://ow.ly/3NFko // The Story of Buckminster Fuller and the Union Tank Car Dome http://ow.ly/3R67r // Ludification de la ville http://ow.ly/3R67H // Une érotique du GPS http://ow.ly/3R67V // Les villas palladiennes dans le Veneto http://ow.ly/3R6af // Vous avez dit densité? http://ow.ly/3R6az // La sculpture au secours de l’architecture? http://ow.ly/3R6b4 // Chicago, ville fantôme http://ow.ly/3R6cr // Le métro de New York en HTML5/Javascript avec de l’inventivité tout plein http://ow.ly/3R6ef

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[1] Gustave Flaubert, L’éducation sentimentale, Troisième partie, chapitre 1.

Auparavant

Le lendemain de la veille urbaine #14: la guerre

Ensuite

Décollement de la métaphore — relations urbaines #1

5 Commentaires

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par SaraGutsatz et nurban vll, URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: Notre papier du lundi: #urbanisme et "régénération", par où ça passe, ou ça casse? http://ow.ly/3RgKq /with @jrmdns inside […]

  2. […] […]

  3. […] urbain-trop-urbain.fr (en francés) […]

  4. […] de l’ouvrage creative commons de l’architecte grec Stavros Stavrides, dont j’ai déjà parlé ici à propos d’Urban plots. Il y défend une architecture des seuils et de la porosité urbaine qui […]

  5. Mathieu Drouet
    à

    Merci .

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