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Caprice des dieux

Caprice des dieux

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Derrière la petite gare du Luxembourg, deux grands bras bardés de publicités institutionnelles prétendent vous faire l’accolade. C’est de vous qu’il s’agirait. Choose Who’s in Charge in Europe. Mais vous manquez ici des proportions sublimes du modèle évident de ce pastiche, les colonnades du Bernin qui accueillent les fidèles à Saint-Pierre de Rome. C’est pourtant vrai qu’il y a des touristes pour s’aventurer ici ! Vous les voyez dans l’étroite rue Wiertz, écrasés entre deux sandwichs de vitres teintées. Parce qu’aucune perspective ne s’ouvre et que rien n’entre dans le cadre d’un appareil, ils se font tous photographier devant le petit pastiche, encore, de la victoire de Samothrace. Il faut que vous l’ayez vu pour le croire, un bronze féminin conquérant, brandissant bien haut le signe de l’Euro, €. Derrière, le bâtiment Paul-Henri Spaak se ménagerait volontiers des airs de Crystal Palace. Au lieu de quoi, un amoncellement de fenêtres sans regard vous entourent partout et vous dominent, sans que vous puissiez y lire la force d’échappement symbolique de la monumentalité. Peu de qualificatifs permettent de rendre compte du gigantisme de la nef et de ses ailes qui abritent le Parlement européen, car c’est de lui qu’il s’agit, et que les Bruxellois nomment le « Caprice des Dieux », encore faut-il le voir par satellite pour comprendre !

Ce qui ressort de la visite des rues intérieures de l’édifice, ainsi que des volées d’immeubles qui bordent le parc Léopold où vous marchez ensuite — Comité des Régions, Comité social économique européen… —, c’est le constat d’une architecture si générique qu’elle vous rappelle celle des faux édifices « patrimoniaux » qui illustrent les billets de la monnaie européenne. Vous avez beau tourner autour, vous ne départagez pas entre le Shopping Mall, le siège bancaire et le plus banal empilement de plateaux de bureaux.

S’imposent ensuite les 240 000 m2 du Berlaymont, inauguré par Romano Prodi en 2004, et tous ses « organes » administratifs aux noms de virus qui se dressent dans les rues adjacentes : TAXUD, ECFIN, MARE, BUDG, SANCO, etc. C’est rapidement tout un quartier impraticable, sans liaison de continuité, qui se dessine, avec les formes invasives et neutres, mais rudement sécurisées, de la Commission européenne et des 33 « DG ». Partout des chantiers en cours, qui démolissent et gagnent sur les vieux immeubles d’Ixelles et d’Etterbeek, afin de loger les lobbies et les 30 000 fonctionnaires.

Vous désespérez bientôt de trouver ici le moindre témoignage matériel d’une citoyenneté européenne : nulle audace formelle, pas de lignes ni de volumes incarnés, seul un recyclage de piètre ingénierie de surface utile et de mille-feuilles de planchers tertiaires. C’est sans doute, et vous le regrettez, la première grande invention politique et institutionnelle, depuis la démocratie athénienne, qui ne se soit donnée une architecture.

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  1. […] Visite du Quartier européen de Bruxelles. Derrière la petite gare du Luxembourg, deux grands bras bardés de publicités institutionnelles prétendent vous faire l’accolade. C’est de vous qu’il s’agirait. Choose Who’s in Charge in Europe…  […]