Riva d’exil

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Une longue route mène en Anatolie avec ses collines aux coulées de maisons beiges et roses et vertes parmi les forêts d’automne au bord desquelles se vendent des cagettes de légumes d’été. Monter ce chemin de terre pour la mer. Mais un gardien rugit en 4×4 et t’empêche de regarder objectivement l’énième chantier de corruptions d’État sous le ciel de béton lisse qui laisse là s’échapper un crachin sur le pare-brise.

Deux criques s’ouvrent, l’une aux cinq mille goélands, l’autre aux cinq chiens qui s’ennuient à manger du sable derrière les flots gris — à la fin ils s’allongent sur leurs traces et perdent leurs yeux parmi les roseaux jonchés sur la plage arrondie. Des vaches broutent des ordures de métal et de laine au bord d’un camp militaire sous les chênes verts. Riva la Grecque s’apprête aux chaleurs de l’été alors que l’hiver n’est pas encore là : le sol se dame, le goudron sent déjà, les tables en bois nouent des familles absentes avec des tapis, des paniers, des grills et des femmes qui ne se baigneront pas. Et il y a toi.

Vers la plage par une ruelle. À l’abri du vent sur la place des hommes jouent au backgammon dos aux pétroliers qui s’engagent sur le Bosphore. Tu cherches l’Ukraine sous le même ciel bas de l’autre côté, et combien d’anoraks — maintenant que les télévisions ne vont plus écouter les coquillages cassés crisser contre le sable d’or. Une vision d’Odessa en noir et blanc dévale l’horizon par intermittence dans un rayon du soleil rasant et s’embouche au canal bordé de barbelés. La Mer Noire se fait berceau en bas des escaliers de la Russie — Ovide y pleure la perte de sa capitale — longue plainte latine de l’exil sur le Pont Euxin devant la mer close qui verdit au soleil qui s’éloigne.

Mer Noire éclose au Styx des rêves échoués.

*

Auparavant

Caprice des dieux

Ensuite

Mi teleférico, uniendo nuestras vidas