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Micromegapolis : Pour une esthétique périphérique

Micromegapolis : Pour une esthétique périphérique

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Au point de rencontre entre la petite et la grande échelle, l’enquête Micromegapolis invite à prendre rendez-vous avec « Gaïa » – cette figure du présent, où la planète est soumise à l’activité humaine, elle-même dépositaire de l’avenir de la planète… Trois enquêteurs partent en éclaireurs à la recherche d’instruments scientifiques et techniques. Car il s’agit de mesurer l’incommensurable dépassement des humains par le cosmos, qu’on l’appelle globe, monde, environnement ou atmosphère… Ainsi parcourent-ils Toulouse, une ville qu’ils pensent d’abord ordinaire. Ils y découvrent finalement l’extraordinaire complexité des relations passionnées entre les humains et la Terre.

… nous les suivons ici éprouvant la limitation à 90km/h sur le périphérique toulousain.

[Extrait]

Poursuivant leur réflexion dans l’habitacle de la voiture, ils firent le point sur les raisons qu’avaient encore les Toulousains de se déplacer. Car l’euphorie mécanique en moins, il leur semblait que les trajets auraient dû se limiter en nombre du fait d’être limités en vitesse et allongés en temps de parcours. Ce n’était pas le cas, loin s’en faut.

Avec en main une brochure donnant l’état des lieux des déplacements à Toulouse, l’un des enquêteurs énuméra leurs caractéristiques pendant que les deux autres voyaient défiler ce paysage qu’on ne regarde d’ordinaire qu’à l’occasion des pauses imposées par les embouteillages. Pas encore d’escale esthétique sur ces routes que nombre d’automobilistes fréquentent pourtant quotidiennement.

Ils virent les pins et les acacias, et apprirent que l’heure de pointe rythme fortement la vie du périphérique. Du côté extérieur, ils aperçurent des jardins ouvriers, certains en activité, d’autres désaffectés, et ils surent que la croissance du flot des automobiles était proportionnelle à la croissance démographique de la ville, et le tout de manière exponentielle ! Ils découvrirent encore le temps passé en un an dans les embouteillages. Ils furent convaincus que l’époque ne célébrait pas suffisamment les artistes qui enchantaient le périphérique, sa zone et sa respiration si particulière à l’urbanité contemporaine. Cet art n’ayant pas encore pénétré les âmes des automobilistes, ceux-ci semblaient persuadés qu’ils traversaient des paysages laids – comme les promeneurs, jusqu’au XVIIIe siècle, n’avaient pas su voir en la montagne un espace de rêverie poétique avant que Jean-Jacques Rousseau ne la leur désignât comme tel.

Mais la limitation à 90km/heure avec la peur du gendarme qu’elle induisait ne les enchantait guère. Ce qui tendit à les rendre un peu moroses dans leur véhicule biliaire. Mais d’apprendre aussi, au détour d’une statistique, que la mobilité des urbains contemporains ne se limitait pas au mouvement pendulaire domicile-travail les réconforta un peu. Ils se réjouirent finalement du paradoxe qui fait que les habitants des villes, alors qu’ils ont tout à proximité, sont ceux qui se déplacent le plus, et pour tout, de façon individuelle et asynchrone, comme s’ils adoptaient des modes de vie nomades à l’heure où ils auraient pu se contenter d’être sédentaires, à rebours de tous les rêves de maison mobile à la Jules Verne.

Le plus physicien des trois crut même bon de rapporter ce constat au phénomène de production d’écume à la surface d’un mouvement tourbillonnaire. Imagine, lecteur !, lectrice !, toutes ces bulles qui s’entrechoquent, chacune paraissant vivre pour soi seule, et toutes conspirant cependant à s’agréger, au hasard des rencontres, en de grandes nappes filandreuses. N’est-ce pas là un modèle de bringuebalement des êtres plus amusant que les calembredaines fonctionnalistes – un espace, des acteurs, une fonction urbaine – qui avaient rendu nos villes aussi tristes ?

Résolus à ce qu’il fallait désormais tenir compte de cette complexité, ils se précipitèrent, joyeux, dans le premier embouteillage venu.


Le livre numérique Micromegapolis, à paraître le 28 septembre 2013, est le récit de l’enquête produite par le Festival La Novela et commanditée par Bruno Latour au collectif Urbain, trop urbain, pour l’occasion composé de Matthieu Duperrex, Claire Dutrait et François Dutrait (auteurs), Audrey Leconnetable (graphiste) et Gwen Catalá (designer numérique).

Quelques adresses :
– Le mini-site carnet de veille, régulièrement alimenté, qui regorge de liens utiles en consonance avec l’enquête : http://www.micromegapolis.fr
– Le compte Twitter de Micromegapolis : http://twitter.com/micromegapolis

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