L’onde s’épuise dans une stagnation méphitique. La rade sursoit aux promesses de continuité. Dans tous les ports du monde mouillent les souvenirs qu’on puise à la surface étale de la mer.

Avant de te noyer, je reconnais les pendentifs d’âme qui sont tiens, et qui t’entraîneront au fond. Oui, les scintillements de la ville de Hong Kong dans la brume liquide, ils périront aussi… Ainsi vont — voguent — simulacres et paroles, jusqu’au havre de la mort. Tu t’effaces comme un simulacre. Cette orgie d’images qui meublait tes journées, des années durant, sans parvenir à te distraire, s’était tue. Ta volonté qu’on ne te «mette pas la télévision» dans ta chambre d’hôpital. Ce silence, l’appel du vide. Dans toutes les chambres du monde vacillent les images auxquelles on prêtait couleur de vie.

Ici repose. Pas tout et bien fait, pas encore. Les promesses de continuité nous gonflent les voiles. Samedi 27 février. «Beaucoup pleuré. Cafard. Aucun de mes fils ne viendra me voir.» Agenda. Choses prévues, à venir. Avenir. Tous nos anniversaires sont indiqués, bien sûr. La spécialiste des anniversaires, c’est toi. On ne saurait te prendre en défaut, la mère. Lundi 3 mai. «Préparer repas anniversaire pour Pascal. Les inviter à la Mazière.» Mardi 18 mai. «Envoyer carte anniv. à Claire». Lundi 30 août. «Anniversaire 71 ans».

Dans le port de Hong Kong, toutes les villes du monde abîment leurs pulsations en silence. Sans laisser d’adresse, à quiconque sauf aux mânes des eaux sans âge. À la toute fin du carnet d’adresse, tu as écrit: «Notre vie est semblable à la mer vagabonde, où le flot suit le flot, et l’onde pousse l’onde.» C’est une citation de Jean-Baptiste Chassignet, un poète baroque français. Le passage se trouve dans la dernière strophe d’un sonnet publié dans le recueil « Mépris de la vie et Consolation contre la mort ». J’en ai trouvé la fin, que tu n’as pas voulu noter. Sans doute ne la connaissais-tu pas? «Surgissant à la fin au havre de la mort.»