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Le lendemain de la veille urbaine #11: l’automobile

Le lendemain de la veille urbaine #11: l’automobile

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Le lundi matin à heure fixe, Urbain, trop urbain donne sous forme de chronique un petit résumé des meilleurs liens glanés sur Internet lors de la semaine écoulée. Le fonctionnement est simple : le taux de consultation des URL diffusées sur notre compte Twitter fait le partage statistique, charge au rédacteur de trouver un fil rouge dans les liens ainsi sélectionnés par cet arbitraire de l’audience…


Notre bouzine cane, grelotte, engagée traviole au montoir

entre trois camions déporte, hoquète, elle est morte !

Moulin fourbu ! Depuis Colombes qu’elle nous prévient

qu’elle en peut plus ! de cent malaises asthmatiques…

Elle est née pour les petits services… pas pour les chasses

à courre d’enfer !… Toute la foule râle à nos trousses qu’on

avance pas… Qu’on est calamitée pourrie !… C’est une idée !

Les deux cent dix-huit mille camions, chars d’assauts et voiture

à bras, dans l’épouvante massés fondus se chevauchant à qui

passera le premier cul par-dessus tête le pont croulant,

s’empêtrent, s’éventrent, s’écrabouillent à tant que ça peut…

Seule une bicyclette en réchappe et sans guidon… [1]

Eh oui ! Les « véroleries mécaniques » de la bagnole auraient fait leur temps ! On n’a pas idée, que c’en est indécent même, cette obstination rétrograde à prolonger les « tribulations pétrolifères » ! C’est plus d’époque, on n’a plus les moyens… D’ailleurs, même les américains n’en rêveraient plus, de la voiture, c’est dire : on a changé d’échelle, on pense « quartier » avant de penser « maison » ; et on se fiche de conduire pour conduire, la route pour soi tout seul comme Neal Cassady, non, c’est d’être « connecté » qui compte. Le capital social et l’automobile ont divorcé. Qu’en reste-t-il, du mythe du volant, à part l’esthétique — déjà un peu surannée — de l’accident, du crash ballardien ?

En tout cas, un des paramètres de notre histoire mécanique qui a pris du plomb dans l’aile, c’est bien celui de la vitesse. En 1899, lorsque la société Renault Frères se fonde pour commercialiser le premier modèle de ce qui sera une grande saga automobile, les conditions de circulation sont plus favorables en France qu’en Angleterre. Car de l’autre côté de la Manche — imaginez un peu ! — la vitesse est limitée à 3,2Km/h en ville et à 6,5Km/h à la campagne. Et, contrainte supplémentaire, il faut à bord un passager qui agite un drapeau rouge… Tandis que, pas froid aux yeux, Marcel Renault descend tout seul la colline de Montmartre à 50Km/h le 24 décembre 1898 ! Beaucoup d’huile a coulé dans les bielles depuis lors. Si les bolides n’investissent plus guère que les jeux vidéos, la sportivité des nouvelles voitures « écologiques » et vertueuses demeure encore assez théorique. L’avenir est dans le fauteuil à bascule de mère-grand à roulettes. La puissante Taxi & Limousine Commission de New York a lancé une consultation sur le taxi du futur d’où il ressort que les meilleurs candidats au Yellow Cab sont d’affreux mini-vans. À l’heure du développement de services tels que ceux de l’Autolib, le temps de recharge de la batterie électrique devient une question autrement plus épineuse que celle de la vitesse du véhicule. Non pas que la problématique de la vitesse de circulation ait vraiment disparue : accélération de la mondialisation, rapidité des échanges de biens et de services 24h/24h, réorganisation des temps sociaux… Mais l’ensemble de la vie sociale nous impose de telles épreuves temporelles, que sans nécessairement faire l’apologie de la lenteur (voir Pierre Sansot), il s’agit de négocier entre les rythmes du système productif et les rythmes des individus dans une urbanité de la mobilité généralisée. Dans son livre Mobilités Trajectoires fluides, Bruno Marzloff parlait de « chronomobilité », la mobilité s’arrogeant la gestion du temps. Les modes de transport et leur organisation devenant l’objet d’une stratégie individuelle, pour l’élaboration d’un système de mobilité propre à chacun, la dimension collective des transports et de la régulation de la mobilité se trouve placée en porte-à-faux avec des trajectoires individuelles asynchrones que le temps de travail ne fédère pas. Ce qu’il s’agit de comprendre aujourd’hui, c’est que le « transit est moins un entre-deux – les Anglo-Saxons parlent de in-between – qu’un échangeur. »[2]

Si l’ambition d’une régulation « chrono-politique » de la société a toujours existé (qu’on relise les travaux de Jacques Le Goff sur le Moyen Âge), la tâche paraît aujourd’hui bien difficile à assumer pour les acteurs des transports et de la régulation de la mobilité, qui se trouvent en porte-à-faux avec des trajectoires individuelles asynchrones que le temps de travail ne fédère plus. « Le temps, c’est l’accident des accidents » disait Épicure. Les opérateurs de transport sont, il est vrai, confrontés à une désynchronisation généralisée des pratiques de mobilité qui explique en grande partie la préférence donnée à l’automobile par les ménages.

Mais le dictat du budget-temps peut pourtant être mis en balance avec les coûts externes d’un usage croissant de l’automobile en zone urbaine, d’une part, et avec les qualités que peut faire valoir un réseau de transport public, d’autre part. Les plus importantes de ces qualités sont le « principe de certitude » et la qualité du temps passé en mobilité : en d’autres termes, le fait que certains modes de transport assurent une régularité et une durée fixe du transit, et le fait de pouvoir associer le temps de déplacement à un temps utile ou de détente, grâce à la qualité des services offerts, induisent une relativisation de la domination du budget-temps, c’est-à-dire de la volonté de « gagner du temps ». Ainsi, le service de transport public, intelligemment défini en multimodalité et en intermodalité, peut tout à fait répondre aux nouvelles mobilités. Nous connaissons bien un succès de la « slow food » : la mobilité contemporaine ne s’assimile pas nécessairement à la vitesse.

D’ailleurs, l’automobile elle-même regagne de son étoffe avec la lenteur. L’autonomie de mouvement démocratique dont elle a toujours été porteuse inspire encore les rêves d’accomplissement de la vie nomade. Il faut dire que l’habitat mobile, couplé aux formidables capacités d’autonomie de la voiture, a longtemps nourri l’imaginaire architectural, à grand renfort d’imageries futuristes diffusées dans les magazine illustrés, Popular Science notamment. En 1954, plus de 1,7 millions d’américains avaient fait l’acquisition d’un mobile home, nous apprend Deconcrete (fabuleux site). Il semble que nous connaissions un regain de mode pour l’habitat compact et mobile. Un architecte suédois vient ainsi de rendre un projet de cellules d’habitation mobiles sur rail pour la ville d’Ândalnes (Norvège) qui remporte un franc succès sur Internet en ce moment. Le blog Transit-City, qui fourmille de réflexions prospectives sur la ville et les modes de vie (s’abonner sans délai), rapporte bien sûr ce retour sur scène de l’habitat mobile au succès des technologies nomades. Les rapides changements socioculturels entraînés par la technologie rendraient désuètes les structures permanentes de nos villes. Le refrain n’est pas vraiment nouveau : nous avions parlé ici-même d’un article de Reyner Banham, « A Home Is Not A House », publié initialement en 1965 dans la revue Art in America, et qui roule sur ce sujet ; le site Arqueologia del Futuro mentionne pour sa part un autre article de l’architecte Raymond Wilson, « Mobility », publié en mai 1967 dans la revue Architectural Design. J’aime beaucoup le génotype de la mobilité qui s’en dégage, avec les variations de l’unité d’habitat individuel dont on voit bien que le chainon central repose sur l’automobile. On peut se réjouir aujourd’hui de ce nouveau fleurissement des utopies de la « mobilité à vivre » et des inventions d’espace public dont elles pourraient être porteuses. Voyez par exemple le petit cinéma mobile de poche (fonctionnant au solaire) qui a égaillé ma semaine. Je vous en souhaite une merveilleuse !

La semaine dernière, parmi les beaux liens urbains, il y avait aussi…

À quels principes dynamiques répond un mobile de Calder? http://ow.ly/3A5M9 // Géopolitique urbaine des « villages d’insertion » http://ow.ly/3xA8G // São Paulo, un art de la trace http://ow.ly/3xA6U // Du style http://ow.ly/3xA6k // Des escaliers dans le ciel à habiter http://ow.ly/3xA57 // Le promeneur dans le jardin: de la promenade considérée comme acte esthétique http://ow.ly/3A4Ze [these] // Natalie Kaplan, la domestication de l’urbain http://ow.ly/3A5gD // « Ce n’est pas un message approprié pour un enfant. Au moins pas en période de Noël » http://ow.ly/3xEbL Histoire d’enseigne // La main ouverte change de sens selon qu’on est hémisphère nord ou sud http://ow.ly/3A4Tw Le Corbusier/Niemeyer // Ainsi crèvent les anars: 25e anniversaire de la destruction du jardin d’Eden à New-York http://ow.ly/3A54s // Le bitume pas vraiment à la mode. Pourtant, oui, nous avons besoin de davantage de routes. http://ow.ly/3A5dD Enfin, aux US. // La figure du Batman des banlieues, comment les Américains imposent leur propre grille de lecture http://ow.ly/3A4P2 // La traversée d’une rue prend des airs de jeu de plate-forme http://ow.ly/3A5pF // Pékin a ajouté 100km à son réseau de métro existant en décembre http://ow.ly/3A5j1 Une paille… // Comprendre les lois de la ville http://ow.ly/3A58N article de fond à découvrir // Le tiers-lieu déplace les fonctions mères de la ville au sein d’un réseau http://ow.ly/3xAfl // Les tunnels http://ow.ly/3xWSh // « L’urbain, ce n’est pas la protection, c’est l’exposition! » http://ow.ly/3xAgJ // Intelligence émergente? http://ow.ly/3xA9s // Zaha Hadid à Montpellier, rôle crucial du béton http://ow.ly/3A55t // La chronique de Sipane sur les écoquartiers http://ow.ly/3A57m // Vomir en ville c’est fun: la balançoire vous aide http://ow.ly/3A5aa // Le mimétisme avéré des propositions architecturales http://ow.ly/3A5oQ // Utopies/Uchronies: toute une revue en ligne http://ow.ly/3A5kK // Quelques bâtiments brutalistes http://ow.ly/3A5qE // J’adore me promener dans la bibliothèque de Mexico http://ow.ly/3A5wq // Des reconstitutions de maquettes du constructivisme russe http://ow.ly/3A5xC

***

[1] Louis-Ferdinand Céline, Guignol’s band, l’ouverture, Éditions Gallimard, 1951.

[2] Mobilités Trajectoires fluides, p.9.

Auparavant

Roma, Rome

Ensuite

Pas folles, les herbes #2 Madrid

3 Commentaires

  1. Détails
    à

    Je rajoute un lien (que j’avais cité il y a bien longtemps) qui complète cette série de « mobilité ».

    http://www.fogonazos.es/2007/10/how-to-move-900-ton-brick-building.html

  2. Mais bien sûr, je m’en souviens! Merveilleux lien, merci Sipane.

  3. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par aleph187b et URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: Notre meilleur de la veille urbaine de la semaine écoulée, sur Urbain, trop urbain http://ow.ly/3APpS #voiture #mobilite #utopie […]

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