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Avec vue imprenable sur la Mer

Avec vue imprenable sur la Mer

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Au nord de la partie occidentale d’Istanbul, la commune de Cumhuriyet est une ville accrochée à un promontoire de verdure dominant le Bosphore, dans le district « rural » de Sarıyer. La station de métro qui arrive là, actuel terminus de la ligne 2, est sans doute la plus profonde du réseau : les quais sont au septième sous-sol ! Tout récemment inauguré et paré de fanions multicolores, l’équipement est d’ailleurs sans mesure avec le lieu, encore très villageois : la salle des billets est d’un gigantisme stalinien, les trémies sont très larges de sorte à permettre le débattement pour un double escalator, trois entresols desservent un parking souterrain, tout est prévu pour le prolongement de la ligne de métro (seule une chainette empêche l’accès au quai fantôme, mais tous les sens de circulation et les lignes de contrôle sont prévus).

À la sortie de la station de métro, le plus remarquable est cette forêt de Belgrad, avec ses chênes à perte de vue. Venu probablement trop tôt, en construction depuis dix ans, le Grand Prestige Hotel 5 étoiles compte 20 étages de planchers béton. Le panneau de promotion délavé ajoutait à la qualité de son standing une vue panoramique. Pourtant, peu de commodités annexes aux alentours susceptibles de justifier cette implantation. La rue principale, Araba Yolu, est bordée d’immeubles de trois étages à peine pour les plus hauts. Les voies secondaires irriguent des grappes de maisons individuelles implantées sans souci d’alignement. Rues tortueuses et pentues qu’arpentent des véhicules majoritairement utilitaires, bardage de bois, portillons nonchalants, jardins potagers et bignonias, quelques camions « Desoto AS250 » postés devant le marchand de matériaux ou dévolus à la vente de pastèques, rares cafés aux tables recouvertes de feutre rouge où l’on ne sert que du thé çay… Et en face de la petite rue Iklim, une vue prodigieuse sur la Mer Noire est accidentellement ménagée dans un parapet de béton. Merveille de la contingence géographique que l’économie fructifiera bientôt comme « atout ».

Car ces villages qui disaient la permanence d’un paysage n’existent plus que d’un temps incertain, suspendu au bord du moloch urbain et de ses lois d’expansion. Plus au nord, Sarıyer devrait être relié, au niveau du village de Garipçe, à l’autre rive, district de Beykoz (village de Poyrazköy). En effet, le projet controversé de troisième pont sur le Bosphore a de grandes chances de se réaliser. Avec l’autoroute qui l’accompagne, cet ouvrage devrait achever l’urbanisation inéluctable de tout le Bosphore par le Grand Istanbul. On sent le « potentiel » de cette région montagneuse… Sûr que les investisseurs immobiliers vont jouer sur les promesses de rente foncière que le développement urbain annonce, mais à quel prix pour les populations encore rurales qui vivent ici ? En attendant, cette vue n’est pas à vendre.

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« Nous sommes Sulukule »

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Un accordéon dans le trafik

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