À la limite du pays fertile
Décès de Pierre Boulez

Devant le Monument en pays fertile, l’aquarelle de Paul Klee (1929), Pierre Boulez trouvait une métaphore de son travail de composition, lorsque la rigueur structurelle, au lieu de cloisonner l’intuition poétique, la pousse au devant de terres inconnues. Boulez vient de mourir.
Devant ce paysage de Fos-sur-Mer, j’imagine les lignes « en promenade » qu’enseignait Klee aux étudiants du Bauhaus trouver leur chemin dans le quadrillage connecté des lignes qui ont des « délais à respecter ». Il y a ces structures parcellaires de mémoire, les héritages des exploitations de marais salants. Il y a les voies ombilicales ouvertes entre les trois étangs, le tout terminant en estomac. Il y a le ventre herbeux de cet ourlet de la plaine de la Crau. Les lignes intermédiaires disparaissent en surfaces chromatiques, en formes géométriques tonales.
On pourrait tout aussi bien y entendre les jeux de vagues de Debussy. Mais la sirène d’usine sonne depuis longtemps déjà les vêpres. Du château Mittal les flammes rougeoyantes saluent les oriflammes sur blason moderne de la raffinerie Esso. Les footballeurs sortis d’un tableau de Nicolas de Staël parachèvent la fantaisie cubiste d’une campagne expropriée.
Est-ce le « pays fertile » ? Ou bien n’est-ce que le sol qui se referme sur la musique d’Orphée, à la bordure du rivage troué ? Pourquoi faut-il que la mort excelle tant en art du contrepoint ?
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