Expansion

Une personne, comme versée au hasard dans la ville : au bout de quelques minutes, quelle superficie de possibles couvre t-elle ? La forme de notre devenir n’est pas celle d’un chemin.
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Elle a disparu à Gare de l’Est, il y a 30 minutes
Pourquoi ? Qui a-t-elle à fuir ou à rejoindre ? Quelle mouche la pique ?
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Elle aurait loué une voiture chez Avis et déboucherait sur le périphérique au niveau de Porte de la Chapelle.
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Ou bien, ce n’est peut-être pas si tragique, elle n’est pas vraiment perdue, seulement sortie pour un moment de sa trajectoire habituelle.
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Elle serait assise dans le métro, direction la Courneuve, elle lirait un livre et ne verrait pas les stations défiler.
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L’intention nous n’en voulons pas, nous n’en n’avons pas besoin. Si ça se trouve elle est défaillante, vacillante.
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Elle aurait stagné quelque part, assise sur le banc vert d’un jardin public, les yeux dans le vague.
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Ou bien au contraire, cette personne sait très bien ce qu’elle veut, mais ce n’est pas ça qui nous aidera.
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Elle serait allée s’asseoir à la terrasse d’un café en bord de gare, et ceci aurait suffi à la fondre dans la foule.
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Ce qui compte ce n’est pas l’intentionnalité. C’est la fluidité de ce qui est versé.
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Elle aurait pris le métro dans la direction opposée à son trajet quotidien. Puis elle aurait rebroussé chemin, n’accusant sur elle-même qu’un retard modéré.
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C’est la nature du terrain qui l’a accueilli, chassé.
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Elle aurait marché au hasard des rues, ne sachant rien de sa progression, revenant maintes fois sur ses pas, spiralant sans hâte.
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Ce qui compte, c’est, dans toutes les directions, la vitesse d’expansion.
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Elle aurait pris le train, premier départ, vers l’Est, par la fenêtre elle regarderait la ville se dissoudre à bâtons rompus.
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Soit du sang, du sang sur un drap blanc.
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Elle aurait pris le métro direction porte d’Orléans, se serait arrêtée à Châtelet, elle serait sur le pont maintenant, regardant passer la Seine glauque au pied de la Conciergerie.
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Ou bien, ce n’est peut-être pas si tragique, non pas du sang, mais de l’huile répandue sur la nappe de la cuisine, du café malencontreusement sorti de la tasse, un verre de menthe à l’eau brisé.
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Elle serait en train d’essayer un top vert amande dans une des boutiques des Halles.
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Ce qui compte c’est la fluidité de ce qui est versé. C’est de savoir aussi si le drap, la nappe, est en viscose ou coton : comment le tissu boit.
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Elle aurait pris la direction de Roissy, elle lirait en ce moment même le tableau des départs.
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Et quel pli vient barrer l’expansion de la tâche, la canaliser en rigole, formant trait, formant doigt tendu vers une direction jamais atteinte.
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Elle serait à Roissy, c’est le tableau des arrivées qu’elle serait en train de lire.
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Car tout fluide répandu a vocation à être absorbé.
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Elle serait dans quelque hôtel de la rue Jarry, en compagnie d’un fantôme.
Ou alors c’est toile cirée, ça va loin mais il n’en reste rien.
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Elle serait à Roissy, elle prendrait un café debout dans une croissanterie de la salle d’enregistrement, elle n’attendrait personne.
« Expansion » est un texte écrit par Cécile Portier, pour Petite Racine, qui invite sur son site le texte de Claire Dutrait « Resserrement du monde », pour Urbain, trop urbain… dans le cadre du projet des vases communicants: “Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.”
2 Commentaires
[…] Racine » Il y a, il n’y a pas Expansion Petite Racine » Tatouage invisible am crire s'adresse Matières à penser Inculquée, par […]
[…] Urbain, trop urbain. Et vous trouverez chez eux, qu’il faut fréquenter absolument, mon texte explorant aussi, autrement, la cartographie des déplacements par les lignes […]