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L’expérience univoque du Grand parc

L’expérience univoque du Grand parc

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Le Grand parc du Puy du fou, en Vendée, propose aux visiteurs une expérience temporelle. Mais le voyage dans l’histoire promu par ce parc à thèmes se transforme bien vite en une exploitation du présent.


 

À première vue, un paysage de paysages, un monde clos. Par des allées ombragées, vous passez d’une scénette à une autre. Lorsque vous vous égarez, un panonceau indique la limite de la visite, et lorsque vous vous fourvoyez, vous arrivez à un grillage vert discret, limite du Grand parc. Rassurez-vous car il y a peu de chance de sortir des itinéraires prévus tant les choses sont bien organisées ici.

Tout commence avant 10h00 où une foule de visiteurs s’accumule sur la place d’un village du début du vingtième siècle, s’abritant du soleil sous une halle métallique, tandis qu’une voix féminine répète en boucle qu’il s’agit d’une visite dans le temps. Les tenues sont bigarrées avec un avantage incontestable au short et à la casquette, preuves s’il en est du caractère oisif et décontracté du lieu. L’attente dans cette aérogare temporelle est trompée par la fréquentation des boutiques de souvenirs. Mais rapidement la plupart des visiteurs est absorbée par la lecture du plan guide du jour remis à l’entrée. Il décrit minutieusement l’organisation de leur journée tel un indicateur des chemins de fer. 10h15 voit la ruée de la foule dans les directions consignées au plan guide. Une quantité notoire de visiteurs s’amasse devant un hangar au décor classique qui renferme une grande salle de spectacle. Ses trois portes seront bientôt des ouvrages d’engouffrement et rapidement son parvis, travaillé en pseudo jardin à la française, sera totalement vide. La halle 1900 s’est également vidée.

Croisant maintenant de rares visiteurs dans les allées, la succession des villages et des paysages vous donnera un instant l’impression d’une déréalisation du monde. Rapidement néanmoins, vous reprendrez vos marques tant la visite vous rappellera des souvenirs de promenades, ceux où enfant, vous suiviez vos parents dans des petits villages historiques, attendant avec impatience l’heure du goûter car déjà peu enclin à la magie des vieilles pierres. L’avantage ici consiste à pouvoir visiter tous les villages touristiques en un seul. A quelques pas les uns des autres, se succèdent une cité médiévale, un village du XVIIIe et un fort de l’an mil, le tout desservi par un petit train comme il se doit. L’impression de déréalisation provient aussi de la musique d’ambiance qui thématise chaque endroit. Avançant dans les sous-bois, un quatuor à cordes vous introduit sur une large pièce d’eau utile à un spectacle son et lumière nocturne. Plus loin l’ambiance médiévale vous fera peut-être entrer dans un village où exercent tanneur, forgeron et boulanger.

Dans le Grand parc, les masses s’amassent, laissant vide un vaste territoire. Partout vous croiserez des tribunes et des amphithéâtres vides. Perdu dans l’interrogation de cette apparente désertion, vous serez soudain surpris de croiser une procession impressionnante gravissant l’allée principale du parc. Le cordon humain doit bien s’étirer sur plusieurs centaines de mètres. Les visiteurs, encouragés par des animateurs costumés, gravissent comme un seul homme le chemin qui les mènera jusqu’à leur prochain spectacle. Emboîtant le pas du cortège, vous arriverez devant une tribune complète tandis qu’une centaine de personnes s’accumulera devant les barrières en rageant de ne pouvoir assister au spectacle. J’étais venu constater l’entrechoquement des temporalités dans des décors d’époques différentes et me voilà confronté à l’inverse: une temporalité unique pour l’ensemble des visiteurs du parc. La frustration des retardataires se comprend mieux puisqu’ils s’en trouvent soudain exclus. Le Grand parc est un produit touristique savant distillant une expérience univoque.

Ce parc à thèmes raconte beaucoup sur la vie contemporaine et son support matériel qu’est la ville. La question n’est pas de savoir si les visiteurs vivent la fiction des lieux qu’ils traversent. Les répliques de villages ne sont pas des formes du passé même si la qualité des constructions laisse penser à un simulacre bien fait. L’actualité du parc se vit dans l’instant dont le plan guide est le métronome. Si vous scrutez bien celui-ci, ce que tous les visiteurs font, vous comprendrez bien vite que chaque scénette historique est couplée avec un spectacle en plein air. Il faut comprendre par là que l’architecture n’est que le prétexte d’une narration à la charge d’un spectacle. Le parc propose d’aller au-delà de la consommation de l’espace comme dans l’expérience touristique du vingtième siècle qui a vu l’affluence de visiteurs dans des lieux pittoresques. Il feint l’historicité par une imagerie efficace: la cité médiévale feint le moyen-âge par deux rues étroites encadrées de maisons de pierres, le fort de l’an mil est clos d’une palissade défensive de rondins, le village XVIIIe organise de solides bâtisses autour d’un lavoir… Mais tout cela n’est que le support pragmatique à des histoires consommées par les visiteurs lors des spectacles. À l’heure dite, présentez-vous devant une tribune et votre expérience individuelle sera remplacée par le spectacle offert au groupe.

Dans les années 1950, Walt Disney invente une discipline architecturale promise à un grand succès: l’immagineering. Pour produire une forte expérience chez le visiteur devenu spectateur, l’architecture et la technique sont inféodées à «l’imagination» de l’effet dont l’unique but est de provoquer du spectaculaire dans la perception des lieux. La culture de l’image rendue tridimensionnelle pour les besoins de la déambulation est née. Le dispositif élaboré pour Disneyland fit passer les parcs de l’attraction à la thématisation, chaque thème étant accompagné de son scénario. L’évolution est notoire puisqu’elle éclipse le sensationnel, celui de l’expérience individuelle de l’attraction, par la consommation de masse d’une narration.

Dans le Grand parc, on a postulé l’hypothèse du temps univoque. D’une certaine manière on y peaufine un modèle de ville où l’architecture serait un décor urbain support d’un récit marketé. L’exposition du passé n’est ici qu’un prétexte, le plus grand commun dénominateur pour un projet résolument politique où le spectacle remplace l’expérience. N’oublions pas que le Grand parc est devenu le quatrième parc d’attractions en France en termes de fréquentation, preuve que cela plaît. Accroché à leur plan guide, les visiteurs ont un choix limité malgré la vastitude du site. Et si vous vous écartez un instant de la foule, vous vous perdrez peut-être dans l’allée des volières où vous découvrirez des rapaces emprisonnés, une métaphore de notre liberté perdue.



Cet article a été initialement publié sur le blog ville fluctuante, qui compte parmi les lectures favorites d’Urbain, trop urbain. «ville fluctuante» est un projet éditorial qui se veut très simple, et dont la vocation est de témoigner des modifications survenues dans la ville contemporaine. S’il est rédigé par des architectes, il s’adresse en général à toute personne intéressée par ce sujet. «ville fluctuante» se décline sur trois supports numériques:

– Le Blog «éléments de la ville fluctuante», qui regroupe des textes et photographies produits par l’équipe de rédaction;
– Le compte Twitter «fluctuatingcity» qui se veut être une revue de presse de titres généralistes et professionnel pour cerner la ville contemporaine par les évènements qui s’y déroulent;
– Le compte Facebook «ville fluctuante» qui se veut être une sorte de village grouillant de la rumeur du monde…

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6 Commentaires

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Architecture News, URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: L'expérience univoque du Grand parc http://ow.ly/2DYdo <article Urbain, trop urbain by @fluctuatingcity #urbanisme #parc #architecture […]

  2. vinvin
    à

    Je suis « animateur costumé » au grand parc et cette critique me laisse perplexe et un peu indigné… Quand vous êtes venus ici , vous aviez déjà votre point de vue sur le puy du fou…C’est un parc à spectacles , plébiscité par plus de 90% des visiteurs…Alors quand des milliers de personnes comme vous viennent le visiter on se doit de gérer les foules…Sinon çà serait l’anarchie et la grille de programmes est faite pour qu’il n’y ait pas de problèmes. Avant même que vous veniez visiter, vous aviez déjà votre point de vue acerbe sur le puy du fou..Que de mots péjoratifs! Qualifier de hangar le grand carroussel , c’est voir le degré de méchanceté et de déception que vous avez pu ressentir lors de votre visite.

  3. Jean Richer
    à

    La critique urbaine est différente de la recherche dans la mesure où elle n’a pas pour objet la démonstration d’un propos. Néanmoins celui-ci doit être construit. La découverte du plan-programme qui est au centre de ce sujet s’est faite sur place. Tout comme l’observation des mouvements de personnes d’un site à l’autre. Il faut comprendre de plus que le Grand Parc est le support de ma réflexion mais que le propos se veut plus large puisqu’explicatif d’une tendance de notre société aux loisirs et à l’expérience scénarisée. Voila, le propre de la critique est d’aller du particulier au général. Nous avons eu avec ma fille (de huit ans) un vif débat car elle était enchantée de sa visite et je lui laisse cet émerveillement comme privilège de l’imagination. Je n’ai donc rien contre le Grand Parc.

    En revanche, le rôle de la critique est la lucidité. Un exemple. Le grand carroussel, en dehors de ses qualités évocatrices, est édifié selon un mode constructif industriel que sa façade arrière révèle. L’emploi de cette structure n’a rien de péjoratif mais renvoie à l’histoire récente de l’architecture et au livre manifeste que fut « learning from Las Vegas ». Le hangar décoré accompagne l’idée d’un environnement d’évènements en dérogeant au dogme moderniste qui voulait que la forme suive la fonction. J’apprends un peu du Grand Parc comme Venturi le fit de la ville « eldorado ». Nous voila dans un post-post modernisme, une nouvelle réalité et je vous affirme que le Grand Parc est très contemporain, trop peut être pour moi car j’avoue un attachement à la liberté d’expérience.

    Le plan guide donc, dame, revenons au plan guide. C’est une invention magnifique. Le plan du métro, l’indicateur des chemins de fer et l’imagination en plus. Le temps commun pour une expérience individuelle. L’expérience du groupe et de l’individu réunient. Voila, je magnifie l’invention par la critique, fut-ce-telle mal perçue.

  4. philpid34
    à

    Cet article n’est effectivement pas inintéressant, car il est assez objectif, j’aurais juste aimé connaitre les impressions de l’auteur sur la qualité des spectacles, ce qu’il ne semble pas avoir jugé utile de préciser…
    Toutefois, 2 choses me gênent, le coup du hangar et des volières, alors la oui, ça ne passe vraiment pas, mais surtout, il faut aussi bien être conscient que de plus en plus de visiteurs étalent leur séjour sur plusieurs jours, ce qui fait qu’ils ne sont pas tous à courir pour suivre aveuglément le programme de la journée comme des moutons.
    De plus en plus se promènent aussi tranquillement dans le parc pour profiter de ce qu’il propose en 1er lieu, à savoir une véritable plongée en pleine nature, ce qu’un « urbain » ne peut peut-être pas apprécier à sa juste valeur…

  5. Jean Richer
    à

    Merci de vos commentaires. On écrit pour être lu. Les critiques montrent l’intérêt que vous montrez au sujet et tant mieux si vous n’êtes pas d’accord.

    J’avais choisi délibérément de ne pas parler des spectacles ni de l’hébergement. Si j’avais voulu le faire, il aurait fallu faire référence à l’International Situationnisme. Ces gens ont dit des choses très bien il y a plus d’un demi siècle sur la contestation de la société de consommation et la dénonciation de la société du spectacle. Je me demande comment leur analyse n’a pas pu faire avancer un peu les choses. Cela renvoie au faible pouvoir des intellectuels à changer des tendances lourdes de la société. Ces garçons proposaient de se détourner du spectacle en lui préférant l’expérience ludique comprise comme un projet social éthique. Ils imaginaient les villes de demain (pour eux, donc d’aujourd’hui pour nous) comme des labyrinthes de plaisir où tout serait jeu, c’est-à-dire expérience sensorielle et individuelle positive. Voila qui nous oppose clairement aux spectacles des parcs à thème.

    Pour revenir à la méthode, elle dérive clairement de l’écologie urbaine développée par l’école de Chicago. Comprendre un environnement urbain consiste à l’arpenter, à l’observer, à la décomposer pour la recomposer par des concepts. On peut être surpris de parler de ville ici alors qu’il s’agit effectivement d’un parc très arboré. Dès le XVIIIe siècle, les géographes et moralistes se sont intéressés à la distinction ville – nature. Robert OWEN fut le premier à imaginer un village industriel entre ville et campagne. Le célèbre Ebenezer HOWARD inventa un siècle plus tard la cité jardin dans cette même perspective. Chemin faisant la pensée géographique, au contact de la sociologie, finit par découvrir que les faits sociaux sont finalement plus aptes à qualifier le fait urbain que l’assemblage physique qu’on appelle ville. En ce début de XXIe siècle, on peut prétendre sans audace que le Grand Parc est urbain. Très agréable par forte chaleur mais urbain par son usage. Il s’agit d’ailleurs d’un environnement construit de toute pièce. La nature a foutu le camp. Reste l’usage social des visiteurs qui arpentent le site à la recherche du spectaculaire.

  6. […] Ceux qui contribuent inlassablement à l’imagineering du centre-ville (voir ici l’article de Jean Richer, du site Ville fluctuante) feraient bien de méditer […]

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