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Le lendemain de la veille urbaine #6: la découverte

Le lendemain de la veille urbaine #6: la découverte

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Le lundi matin à heure fixe, Urbain, trop urbain donne sous forme de chronique un petit résumé des meilleurs liens glanés sur Internet lors de la semaine écoulée. Le fonctionnement est simple : le taux de consultation des URL diffusées sur notre compte Twitter fait le partage statistique, charge au rédacteur de trouver un fil rouge dans les liens ainsi sélectionnés par cet arbitraire de l’audience…



 

Je diray que je ne me puis aussi assez esmerveiller

de ce que Thevet en l’an 1558 et environ deux ans après

son retour de l’Amérique, voulant semblablement complaire

au Roy Henry second, lors régnant, non seulement en une carte

qu’il fit faire de cette rivière Ganabara et fort de Coligny,

fit pourtraire à costé gauche d’icelle en terre ferme, une ville

qu’il nomma VILLE-HENRY : mais aussi, quoy qu’il ait eu

assez de temps depuis pour penser que c’estoit pure moquerie,

l’a neantmoins derechef fait mettre en sa Cosmographie.

Car quand nous partismes de ceste terre du Bresil, qui fut plus de

dixhuict mois apres Thevet, je maintien qu’il n’y avoit aucune

forme de bastimens, moins village ni ville à l’endroit où

il nous en a forgé et marqué une vrayment fantastique. [1]


Le grand œil satellitaire Google Map et son explorateur de ras-de-terre, Google Street View, sont des machines dont nous avons rapidement adopté l’usage, nous transformant en cyber-arpenteurs du quotidien planétaire, de sorte que pas une frange de notre monde physique n’échappe au jeu de conjecture et de vérification que ces logiciels permettent d’orchestrer. Grâce à Google Maps, je peux aisément visualiser la banlieue de Buenos Aires, et vérifier le mitage de sa couronne périurbaine, entre bidonvilles et Gated Communities. Avec Google Street View, il est sans doute possible de tirer une foule d’autres enseignements sur les villes, et je me demande par exemple si Denise Scott Brown et Robert Venturi auraient écrit avec cet outil une autre Leçon de Las Vegas et du fameux strip de la ville aux mille enseignes.

Les périples qui s’offrent à nous n’ont en fait de bornes que celles de notre imagination. À Chicago, je pourrais tout aussi bien suivre le vagabondage suburbain de 250 coyotes traçables par GPS. À l’âge de Google, la faune devient elle-même cyborg… Et sans chercher un cas aussi extravagant d’observation satellitaire, le site UrbanTick nous propose tout de même une manière de cartographie routinière fondée sur la traque GPS du déplacement individuel d’un quidam londonien sur deux années. Mobilité toujours : quelques données publiques associées à l’usage de Google Map et je peux éditer à façon des cartographies relatives au temps de déplacement disponible dont je dispose. J’ai vingt minutes, où vais-je ?

Feindre d’explorer

Outil technique à l’ustensilité duquel nous sommes tentés de nous dérober par mille trahisons possibles, Google peut nous aider à feindre et forger des extravagances de « Cosmographie », celles justement que dénonçait Jean de Léry. Les temps se bousculent et la poésie cohabite avec ce quotidien que nous pourrions chroniquer à la façon des Anciens : « Aujourd’hui, jeudi 18 novembre, ai croisé dans Google Street View le rhinocéros d’Albrecht Dürer dont j’ai pourtant lu ce jour même chez François Bon qu’il n’existait pas. » Dans un article truffé d’intéressants liens — que je vous conseille vivement de lire —, Pierre Ménard proposait cette semaine de déployer un usage littéraire de Google Street View. Un groupe Facebook intitulé Le tour du jour en 80 mondes s’est tout de go échafaudé, entre autres fictions à suivre, dans le sillage de ce texte.

Un tel nom de baptême vient en carambolage d’une autre référence mentionnée peu avant sur la toile : le site de design GOOD a créé une carte interactive des plus grands voyages de l’histoire, de Magellan à Kerouac. Or, le Voyage au centre de la terre y est mentionné. L’expédition de Jules Verne fait toujours rêver — comment pourrait-il en être autrement ? — et un architecte d’Austin, Texas, a d’ailleurs récemment forgé l’hypothèse qu’un boyau inexploré de sa cave à vin était secrètement connecté au dit centre : en attendant, un « lieu d’interprétation » a aussitôt été monté, comme il se doit, pour accompagner la fiction. De cave en boyau, j’imagine volontiers un passage secret entre le bunker de WikiLeaks à Stockholm, et le fuselage du Spruce Goose, l’hydravion H-4 Hercules célèbre pour n’avoir volé qu’une fois.

Les temps de Magellan et des Nouveaux Mondes étant révolus, la circumnavigation numérique nous invite à explorer la terra incognita la plus proche. Ainsi, dans les réseaux de nos villes, même les plus modernes, nous pourrions nous faire les inventeurs de zone invisibles, c’est-à-dire que les autres — sauf Google — ne voient pas, n’imaginent même pas : une station de métro désaffectée, les arcanes métalliques des grands ponts… La revue Urbaine avait consacré il y a quelques années tout un dossier au sous-sol des villes, territoire d’exploration, et urbanité organique. Je vous le livre en note [2]. Comme les agneaux de L’ange exterminateur de Luis Buñuel, nous n’avons plus de frontière invisible.

Figer l’image mobile du voyage

Souvent, les plus belles invitations au voyage nous sont léguées par ceux qui savent s’arrêter à un endroit. D’une errance choisie dans les détroits et portes maritimes de l’Europe — Bosphore, Gibraltar Öresund, Pas-de-Calais —, le photographe Sébastien Sindeu décrit des frontières qui sont des passages, des liens qui sont des fuites, des proches rivages au goût du lointain. Dans « Travelling Landscapes », un autre photographe, Gabor Ösz transforme sa cabine couchette en camera oscura pour imprimer un moment de son parcours ferroviaire sur la pellicule. Sans doute n’est-ce pas une coïncidence que la photographie apparaisse en même temps que les locomotives à vapeur… Autres trains pour finir, ceux des métros de Tokyo et de New York qui, photographiés par Adam Magyar grâce à un procédé original, exhibent comme des lanternes magiques, la vie en tranche des voyageurs derrière les fenêtres.

La semaine dernière, parmi les beaux liens urbains, il y avait aussi…

Elire domicile. La construction sociale des choix résidentiels http://ow.ly/3bT2O // À Tallinn, Estonie, le développement des aires pavillonnaires http://ow.ly/3a9yA // L’archive des graffitis de Bucarest http://ow.ly/3asG9 // Belle structure perse pour une villa contemporaine http://ow.ly/3ay6W // La vieille ville de Jérusalem, un travail de découpe photographique qui dit la diversité des mondes http://ow.ly/39Xvm // Ne voir que les échafaudages, sans les bâtiments qu’ils entourent, rêver à leurs dentelles http://ow.ly/3a9wJ // Ces sacs en papier sans lesquels l’Amérique ne serait pas ce qu’elle est. Mais qui les a inventé? http://ow.ly/3aQzS // Une collection de Tours de Babel http://ow.ly/3avgI // Les pyramides de Le Corbusier http://ow.ly/3aQB // Dans les années 1970, la démolition de nombreuses maisons d’Ankara a généré un commerce d’éléments constructifs http://ow.ly/3bT7z // Ces petites baraques qui résistent aux condos de la densification, vous vous rappelez? http://ow.ly/3bT1F // Le meilleur des photos de nos nouveaux toits du monde, à découvrir http://ow.ly/3cweE // L’habitat informel à Delhi http://ow.ly/3crOZ [article] // Les habitants de Venise ont manifesté avec ironie contre la montée des prix et l’afflux des touristes http://ow.ly/39QXh // Un livre dont l’édition dépasse largement en complexité la « Maison des feuilles » http://ow.ly/3asH0 // Des installations luminescentes sur les murs http://ow.ly/3a7zM // Dérouler un pavement de briques comme qui rigole, on a peine à y croire http://ow.ly/3bwa9 // Cette vidéo montre la construction d’un bâtiment de 15 étages en 2 jours. En Chine bien sûr… http://ow.ly/3a9nM // Naked House: l’impression sensitive de l’espace architectural http://ow.ly/3bwhT // Et maintenant, les baraques qui planent, parce que, oui, « habiter », ça peut être ça aussi http://ow.ly/3bT4g // De l’influence du thatchérisme sur l’architecture à l’urbanisme du New Labour http://ow.ly/3bw8M // Scène imaginaire? — desarquitecturalización http://ow.ly/3bwff // 18 lits à Paris, des matelas dehors http://ow.ly/3bwee // Datatown: on garde les signes, on enlève le reste, une vidéo plus que suggestive sur les écritures urbaines http://ow.ly/3bwj2 // City invisible blocks http://ow.ly/3cC2y — deconcrete // Découvrir les incroyables Simon Rodia Towers, bricolées par des immigrés italiens à Watts http://ow.ly/3cs5o

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[1] Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil, chapitre VII (1578). L’auteur dispute ici de la représentation cartographique de la « France Antarctique », colonie huguenote au Brésil, rapidement reprise par les catholiques, et tout spécialement les jésuites.

[2] Téléchargez la revue Urbaine — Découvrir et repenser les villes européennes —Printemps 2007.

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2 Commentaires

  1. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Frédéric Deschamp, Nicole Guichard. Nicole Guichard a dit: Le lendemain de la veille urbaine #6 http://t.co/tHuFq2G via @AddThis […]

  2. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Pierre Ménard, brigitte celerier, Jérôme Denis, Nicole Guichard, Philippe Gargov et des autres. Philippe Gargov a dit: RT @urbain_ Voyages et explorations, de Jean de Léry à Google, notre billet du lundi http://ow.ly/3drz6 #links #veille […]

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