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Micromegapolis : L’observateur observé

Micromegapolis : L’observateur observé

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Au point de rencontre entre la petite et la grande échelle, l’enquête Micromegapolis invite à prendre rendez-vous avec « Gaïa » – cette figure du présent, où la planète est soumise à l’activité humaine, elle-même dépositaire de l’avenir de la planète… Trois enquêteurs partent en éclaireurs à la recherche d’instruments scientifiques et techniques. Car il s’agit de mesurer l’incommensurable dépassement des humains par le cosmos, qu’on l’appelle globe, monde, environnement ou atmosphère… Ainsi parcourent-ils Toulouse, une ville qu’ils pensent d’abord ordinaire. Ils y découvrent finalement l’extraordinaire complexité des relations passionnées entre les humains et la Terre.

… et quoi de plus naturel alors de se rendre à l’Observatoire Midi-Pyrénées, étudiant les sciences de la vie et de la terre…

[Extrait]

Entretemps deux des enquêteurs furent appelés à Buenos Aires pour d’autres travaux en cours. C’est que le temps ni l’espace des événements de nos vies ne sont toujours concordants, un peu comme si nous devions établir avec nous-mêmes des « zones de contact » nous permettant de constituer notre moi. Mais, lecteur, lectrice, ces considérations et leurs illustrations ont trouvé de nombreuses réalisations en philosophie et en littérature sans qu’il soit nécessaire de s’étendre ici davantage. Ce faisant, ils éprouvèrent dans l’hémisphère Sud d’autres facettes de Gaïa, et ils s’efforcèrent de capter ce qui faisait l’atmosphère de cette mégapole.

Le troisième enquêteur, qui était resté en Europe, appela le directeur de l’Observatoire pour prendre rendez-vous. Celui-ci chercha un moment disponible parmi ses nombreuses activités : colloque sur le paléoclimat, conseil d’administration au sein de l’université de tutelle, accueil de madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, débat d’orientation budgétaire, suivi des travaux de nouveaux bâtiments de recherche, conseils scientifiques… Veiller à la Terre ne laissait visiblement que peu de répit ! La date fut fixée à quelques semaines de là. En attendant, notre enquêteur passa ses journées à lire, ce qui lui fit trouver le temps très court. Il lut des ouvrages qui rapprochaient Tintin de Jules Verne, Jules Verne des aventures des sciences, les aventures des sciences de la connaissance scientifique, la connaissance scientifique de sa diffusion… Il parcourut une nouvelle fois le long poème de Lucrèce De la nature, premier traité de physique atomiste, le premier connu à ce jour du moins. Il mena quelques réflexions sur le langage des sciences aujourd’hui, mais il les garda, en l’absence de ses compagnons d’enquête, par devers lui.

Le jour du rendez-vous arriva. Le bâtiment n’avait rien d’un vaisseau high tech ni d’une forteresse, ce qui déconcerta un peu notre enquêteur, qui, bien que philosophe, se laissait prendre parfois par les images qu’il s’était projetées dans la caverne de son for intérieur. Arrivé au premier étage, ayant été annoncé et patientant quelques minutes dans le couloir le temps qu’arrive l’heure du rendez-vous fixé, il remarqua au mur un cadre enserrant une photo des Pyrénées marquée à la plume par les noms des sommets en chaîne. En lettres capitales, sa légende annonçait « La chaîne du Pic-du-Midi de Bigorre ». Il y chercha donc le Pic-du-Midi lui-même, mais ne le trouva pas, alors qu’il avait déjà parcouru du regard deux à trois aller-retour sur ces sommets. Il vit donc arriver le directeur avec soulagement. Et après les salutations d’usage, il lui avoua son échec à repérer l’observatoire du Pic-du-Midi sur la photo exposée.

— Mais vous y êtes ! C’est vous qui prenez la photo, ne voyez-vous pas ? s’exclama le directeur.

L’œil de l’enquêteur s’arrondit d’abord, se plissa de rire, il rangea cette image et son point de vue absent et pourtant situé, dans sa bibliothèque intérieure, au rayon des apprentissages scientifiques fondamentaux : observer c’est aussi révéler la place de l’observateur.


Le livre numérique Micromegapolis, à paraître le 28 septembre 2013, est le récit de l’enquête produite par le Festival La Novela et commanditée par Bruno Latour au collectif Urbain, trop urbain, pour l’occasion composé de Matthieu Duperrex, Claire Dutrait et François Dutrait (auteurs), Audrey Leconnetable (graphiste) et Gwen Catalá (designer numérique).

Quelques adresses :
– Le mini-site carnet de veille, régulièrement alimenté, qui regorge de liens utiles en consonance avec l’enquête : http://www.micromegapolis.fr
– Le compte Twitter de Micromegapolis : http://twitter.com/micromegapolis

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