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Svetlana – la ville est une arène #7

Svetlana – la ville est une arène #7

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Pour obtenir le visa d’étudiant français, il faut passer un test du VIH, une radio des poumons, et pendant la visite médicale on regarde l’intérieur de ta bouche et toutes tes dents. Moi ça me rappelle quelque chose, mais je pense que vous avez compris. Je sais que c’est comme ça partout mais bon, c’est vrai que la France, elle a quand même cette image de tolérance, de droits de l’Homme, de terre d’accueil, alors je m’y attendais pas. Et puis comme j’étais déjà venue quatre ans avec mon oncle diplomate, quand j’étais plus jeune, pendant la guerre, je me croyais un peu comme dans ma deuxième maison…

Le visa étudiant, il te donne le droit de travailler 20h par semaine, alors j’ai déposé 200 CV dans tout Paris, j’ai marché pendant des heures, je pleurais au téléphone et ma mère me disait, ça va venir, ça va venir… Et puis un jour on m’a appelée, un café très chic au métro École Militaire, ils me voulaient surtout parce que beaucoup de leurs clients sont japonais et moi je parle le japonais, en plus du français, du serbo-croate, de l’allemand et de l’anglais. Entre parenthèses je parle l’anglais mieux que tous les Français que je connais, bon c’est normal, notre pays est tellement petit qu’on n’a pas le choix pour communiquer et sortir de chez nous, alors que les Français, eux, continuent toujours à dire bonjour et merci quand ils sont à l’étranger, comme au temps de la colonie… Enfin bref. Un mois plus tard en recevant ma première fiche de paye j’ai vu que le salaire minimum n’était pas respecté et j’ai dit au patron que quelque chose ne va pas, il ne pouvait pas me mentir alors il a été obligé de m’augmenter et tout le reste du personnel aussi en même temps que moi, tous des étrangers. Je suis pas Française mais quand même je suis Serbe, et j’aime pas qu’on se foute de ma gueule.

Comme étudiante, je suis venue grâce à mes diplômes de japonais et j’ai pu entrer en Licence de FLE, j’ai travaillé comme une folle pour avoir le Master et je suis revenue en Serbie où le directeur de l’École Française de Belgrade m’a embauchée sans hésiter, j’ai eu les formateurs, les inspecteurs, tout le monde sur le dos chaque année parce que je n’étais ni Française ni titulaire de l’Éducation Nationale, et de nouveau j’ai travaillé jour et nuit. Et puis au bout de quelques années, mon père a vu mes fiches de paye par hasard et il m’a dit qu’ils ne payaient pas les cotisations pour la retraite en Serbie, alors je suis entrée dans une colère noire. Le directeur me disait de me calmer qu’il avait besoin de moi, que c’était moi qui tenait debout tout le Cours Moyen, qu’il ne fallait pas que je parte, il a voulu m’acheter avec les compliments mais j’ai tout de suite contacté une amie avocate pour le procès. Maintenant ils essayent de me faire signer un accord où je récupère tout mon argent mais je jure de ne jamais divulguer les informations sur l’école, et je crois que j’ai pas besoin d’expliquer que j’ai refusé et que j’irai jusqu’au bout. Quand même il faut savoir que c’est ça aussi l’École Française, je trouve important de le dire.

Maintenant je donne les cours particuliers, j’écris, je me débrouille.

Quand je pense que la Serbie sera le dernier pays de l’ex-Yougo à entrer dans l’Union Européenne, ça me fait mal au cœur même si je me sens surtout belgradoise, même si je sais que je vais quitter ici aussi. Les esprits sont trop fermés, tout est corrompu, on ne peut rien faire de bien, on ne peut pas avancer vraiment. Sans parler du nationalisme. Sans parler qu’on annule la Gay Pride à Belgrade depuis trois ans, comme des hypocrites. Et que ça en dit long sur pas mal de choses.

Alors je regarde pour partir aux States ou en Afrique, avec mon diplôme de FLE. J’ai contacté l’université de MIT, à Boston, pour proposer un travail en linguistique sur la langue serbe et ils sont intéressés. Je sais que je dois partir, j’ai déjà quitté mon pays, tout recommencé ailleurs, je sais que je suis capable et que je ne suis plus à ma place ici. Mais j’ai du mal à me décider parce que mes parents sont vieux maintenant, ils ont besoin de moi. Et puis aussi j’aime ma ville, j’aime fumer et boire du café turc toute la journée, j’aime regarder la Save se jeter dans le Danube. J’aime mes potes.

Mais je ne peux plus rester, on est comme coincés, avec cette merde de visa Schengen… C’est une galère, presque impossible d’aller en France une fois par an, enfin bon, je vais pas tout vous expliquer, je pense que vous avez compris.


La ville est une arène où les hommes sont dissous, c’est la série de l’été sur Urbain, trop urbain. Dix rencontres entre les textes de Jessica Bierman-Grunstein et les dessins de Sébastien Mazauric, alias Uttarayan… … à suivre par ici.

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Karim – la ville est une arène #6

Ensuite

Amidou – la ville est une arène #8

1 Commentaire

  1. Céline Geffroy
    à

    Comme toujours, un texte fort, socialement engagé. Un petit air d’expérience personnelle ?!

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