L’ascenseur horizontal, un complément de l’armature métropolitaine
Lorsqu’on monte au Top of the Rock, la plateforme d’observation du Rockfeller Center, on atteint en une minute le 67e étage du building dans un ascenseur au plafond de verre. En l’occurrence, ultrarapide, la boîte transparente est un instrument à marquer les esprits: vous voyez défiler d’un coup l’histoire des gratte-ciel américains des années 1930 à nos jours. Comme toujours, les imageries les plus grossières comportent leur part de vérité. L’ascenseur est consubstantiel au gratte-ciel: l’invention d’Otis date de 1853; en même temps, les progrès fait en matière de structures en acier permettent que l’immeuble de grande hauteur ne s’effondre pas sous le propre poids de ses étages. Plus on gagne en étages, plus se hisser vite et bien du plateau piétonnier au sommet est un enjeu.
Du coup, monter dans un ascenseur devient l’expérience décisive pour savoir ce qu’il en est de la volonté de puissance des promoteurs et constructeurs de tours, et à travers eux, de la ville qui s’enorgueillit de ses gratte-ciel. Le parcours peut d’ailleurs être scénarisé, séquencé, sans que l’expression du geste architectural et politique de la tour s’en ressente, bien au contraire. Par exemple, à Shanghai, vous monterez au 88e étage de la tour Jin Mao (Skidmore, Owings & Merrill), où se situe la plateforme d’observation, en empruntant un seul ascenseur. Mais il vous faut prendre pas moins de quatre ascenseurs successifs pour boire un verre au 87e étage, au Cloud 9 Bar. Ceci dit, la halte dans le lobby de l’hôtel Hyatt, au 54e étage, vaut le détour pour son magnifique atrium qui évide littéralement le noyau de la tour… Une tour, c’est une synthèse des performances de traction et de tension. L’ascenseur doit à la fois révéler cette synthèse et faire oublier les contingences techniques qui président à la mise en scène de la ville.
Avec le Maglev, nous avons affaire à un «ascenseur horizontal». Marquant 431km/h au compteur, reliant Pudong à l’aéroport international, soit 35km, en 7 minutes, ce petit train à lévitation magnétique est l’analogue parfait de l’ascenseur de gratte-ciel. Coût exorbitant, consommation énergétique importante, rupture de charge avec les autres modes, presque aussi inconfortable qu’un Grand Huit… Il est davantage chargé de magnifier les fonctions métropolitaines de Shanghai que de desservir efficacement un aéroport. Ouvert en 2002, le Maglev est le complément d’autorité d’une mégalopole en compétition effrénée avec ses homologues en taille ou en fonction (à commencer, en Chine même, par Hong Kong et Pékin).
On photographie le train lorsqu’il arrive en gare, ou encore le compteur numérique de vitesse placé de part et d’autre de chaque compartiment, on pousse un cri lorsqu’il négocie un virage. C’est la nouvelle ville de Pudong, ses tours, son centre financier sorti de terre il y a un peu plus de quinze ans, c’est l’ambition de «faire ville internationale». Le Maglev n’a strictement rien à voir avec un moyen de transport classique. Il n’est pas là pour relier la ville aux hommes, mais pour dire que la ville n’attend pas.
En dépit des fortes oppositions ou de l’incompréhension que ce projet suscite, une ligne vers Hangzhou verra bientôt le jour. 4,3 milliards de dollars d’investissement pour 177km et la vallée du bas Yangzi aura le premier train à lévitation magnétique interurbain du monde. Qui veut comprendre ce qu’il se passe en Chine aujourd’hui devra prendre l’ascenseur, comme devait prendre l’ascenseur celui qui voulait comprendre quelque chose à New York dans les années folles.
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[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: L’ascenseur horizontal, un complément de l’armature métropolitaine — article Urbain, trop urbain http://ow.ly/1AjIh […]
[…] l’escalier inspirées de l’urbanisme de Hong Kong, ou encore ce que nous avions qualifié d’«ascenseur horizontal» à propos du Maglev de Shanghai. Toujours, la technique nous suggère des différentiels dans les […]