Moscou, les cendres du mythe
Absent de Russie, je n’ai pas assisté à cet été 2010 à la saveur de cendres. Aussi vais-je l’illustrer ici, m’aidant des commentaires et photos des amis qui ont vécu ce smog enfouissant les avenues soviétiques, dérobant les remparts des monastères, escamotant les clochers bulbeux, effaçant les gratte-ciel staliniens. Je fais donc un reportage par procuration, écrivant une approche personnelle du lieu. Mes souvenirs de Moscou sont autres, en résident qui arpentait la ville et ses caches à trésors pour faire parler le passé de l’URSS. J’ai vu Moscou en été radieux, sous les orages vidant la ville, soleil comme ténèbres laissant à part égale les avenues et tours en silhouettes solitaires. J’ai vécu Moscou en dédale neigeux ou poussiéreux. Les archives moscovites m’ont livré les visages enfouis de la cité protéiforme, ses décors qui ont remplacé d’autres décors, parfois en palimpsestes démasqués, dévoilés.
Ville d’illusions bâties
Une cynique expression russe du XVIIIe siècle déclarait que partout dans le monde les ruines se faisaient, mais qu’à Saint Pétersbourg on prenait le soin de les construire. Moscou a connu un réflexe similaire, le climat sollicitant durement des constructions souvent fragiles, dont le bois et les crépis cachant la brique exigent des reprises fréquentes. Une autre locution russe qui a franchi les portes de l’oubli est celle de «village Potemkine»; pour désigner ces bourgs factices que le favori de l’impératrice édifia afin de persuader Catherine II du succès de sa politique. C’est toutefois oublier que les planches se prêtent bien à la construction de décors, et que d’un décor en bois figurant une maison, à une maison en bois figurant un quelconque décor de pauvreté ou d’opulence… la distinction en vérité n’est que minime.
La Russie les a multipliés au fil des siècles, ces coups d’illusions bâties, ces merveilleux mirages ligneux qui se prennent pour des architectures éternelles, mais qui — fragiles — subissent chaque hiver, ou cèdent au premier départ de feu. L’incendie de 1812, piégeant l’armée de Napoléon dans une ville où presque seuls les remparts et quelques églises étaient de pierre, est un autre de ces souvenirs urbains cataclysmiques. Sans oublier le désastreux été 1941, où les nazis arrivèrent aux portes de la capitale soviétique, dont certains monuments (tels le Théâtre de l’Armée Rouge) se noircirent des feux de bombardements, sous un ciel obscurci par les tirs d’artillerie anti-aérienne.
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[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par radarq.net et aleph187b, URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: Superbe méditation historique sous #Moscou enfumée http://ow.ly/2K0rr <article Urbain, trop urbain #urbanisme #paysage […]
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Impressionnante évocation des rapports entre hommes et villes. Une invitation au voyage…
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[…] montagnes contrastent par leur force. Alors que les incendies s’étendaient en périphérie de Moscou, nous ne voyions ici que la densité des bois s’étendre, à perte de vue, jusque sur les flancs […]